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PLACE DE L'HÔTEL-DE-VILLE
(D'après Les
rues de Paris. Paris ancien et moderne : origines, histoire, monuments, costumes,
mœurs, chroniques et traditions, sous la direction de Louis
Lurine, paru en 1844)
Dans les idées de la population parisienne, la place de Grève avait une signification néfaste, parce que c'était le lieu où l'on infligeait les châtiments. On vit un jour une troupe de convulsionnaires s'arrêter au milieu de cette place et la bénir, comme l'endroit où, disaient-ils, ils seraient exécutés mortellement. Ces pensées funestes ne diminuaient rien de la puissance des leçons de l'histoire. La place de l'Hôtel-de-Ville fut le théâtre des principaux événements de la
La place de l'Hôtel-de-Ville était le quartier général des forces révolutionnaires : turbulence, désordre, pillage et meurtre et nombreuse hordes dont les excès ont souillé cette époque. Sous l'empire, elle s'associa avec enthousiasme à l'éclat qui glorifiait le pays ; elle vit rayonner les fêtes splendides, elle répéta avec transport les échos de nos victoires ; elle saluait avec amour et avec ivresse les fêtes qui célébraient nos triomphes. Si elle ne cessa pas d'être le lieu des supplices, du moins fut-elle aussi l'enceinte de prédilection pour toutes les joies de la patrie ; elle préparait ainsi, dans le présent, pour l'avenir, l'instant où elle n'aurait plus à présenter à l'histoire que des titres chers à toutes les nobles affections. L'empire eut toujours pour la place de l'Hôtel-de-Ville une préférence marquée ; Napoléon pensait qu'il eût manqué quelque chose à sa gloire, si le bruit et la renommée de ses triomphes n'eussent pas retenti autour de l'Hôtel-de-Ville de Paris. C'était sur cette place que le peuple aimait à s'assembler pour entendre le canon des Invalides, dont les salves proclamaient les bulletins de la grande armée. Lors du mariage de l'empereur, la ville de Paris s'associa avec splendeur aux fêtes des Tuileries ; Napoléon éprouvait une joie véritable à présenter sa femme à la bourgeoisie de Paris, dont l'élite était rassemblée dans les salons de l'Hôtel-de-Ville ; mais il ne se borna pas à ces hommages de l'étiquette ; plusieurs fois, pendant le bal, il conduisit l'impératrice aux fenêtres, et il la montra lui-même à la foule, qui resta rassemblée sur la place durant toute la nuit. L'empereur ne voulait pas que les fêtes de la cour fussent renfermées dans les appartements ; il s'efforçait d'y peler et d'y mêler les émotions du dehors ; nul mieux que lui n'a compris cet art de parler aux effusions de la multitude. Il y avait alors un usage qui resserrait les liens entre le trône et la cité : chaque année, la ville de Paris donnait en son Hôtel-de-Ville un banquet et un bal au souverain : on choisissait ordinairement pour cette solennité le jour de la fête auguste. Dans ces bals, la bourgeoisie était soumise an costume de la cour ; c'est-à-dire qu'elle n'était reçue qu'avec cet habit auquel on avait conservé le
Malgré les embarras attachés à une toilette qu'ils ne portaient, qu'une fois l'an, les bourgeois prenaient gaîment leur parti de cette mascarade, qui était, sans contredit, l'attrait le plus piquant de ces réunions. Pendant la durée du bal, les curieux remplissaient la place ; c'était un des meilleurs divertissements du peuple à Paris, que de voir descendre de voiture et entrer à l'Hôtel-de-Ville, les bourgeois ainsi affublés. Souvent on reconnaissait les invités et on les appelait tout haut par leur nom, avec ces sarcasmes et ces éclats de rire qui sont la menue justice du peuple. De tous les points de la ville on venait à ce rendez-vous. Ce bal de l'Hôtel-de-Ville fut quelquefois l'occasion de réjouissances dont la place de Grève était alors le centre. L'édifice apparaissait radieux de lumières ; on réservait pour cet endroit les plus magnifiques illuminations ; une ligne de feu s'étendait le long des quais jusqu'au château des Tuileries ; de vastes trépieds antiques supportaient les gerbes de flammes qui éclairaient le trajet, et quand le cortège impérial entre la double haie des vétérans de la garde défilait, sous les yeux de la foule, rien ne peut donner une idée de l'enthousiasme qui éclatait sur son passage ; car c'était après une victoire, après une conquête, après un royaume ajouté à l'empire, que Napoléon aimait à paraître ainsi devant les habitants de la capitale de ses États. A l'arrivée de l'empereur, les batteries d'artillerie placées sur les quais voisins annonçaient l'inauguration de la fête, et la place de Grève et les deux rives répondaient à au signal par une immense acclamation. En face de l'Hôtel-de-Ville, jaillissait tout-à-coup un feu d'artifice gigantesque ; ordinairement il faisait luire quelque page des guerres récentes. Tout Paris a gardé la mémoire de ce passage du Mont-Saint-Bernard, qui montrait au milieu d'une auréole flamboyante, les fatigues et les trophées de notre armée d'Italie. C'était un admirable spectacle ! Pendant que nos soldats gravissaient ces montagnes de feu, on voyait se détacher au sommet une figure bien connue, entourée par des lueurs qui semblaient empruntées aux astres, et les regards se reportaient ensuite vers l'endroit d'où Napoléon contemplait lui-même cette rayonnante apothéose. Sur le fleuve, une flottille toute pavoisée de reflets lumineux répondait par de continuelles éruptions à la mousqueterie et aux canons qui tonnaient sur la cime. C'était l'histoire écrite en caractères de feu. Pendant toute la durée de ces nuits, rien ne pouvait arracher la foule à la place de l'Hôtel-de-Ville, et pour ceux qui écoutaient ses entretiens, il était évident que, malgré les délices du bal, le peuple avait la meilleure part de ces fêtes. Napoléon aimait ces démonstrations ; il y avait en lui des instincts qui le rapprochaient du peuple et de ses plaisirs. La restauration se prêta d'abord d'assez bonne grâce à ces
réjouissances ; la cour y retrouvait d'ailleurs des traditions que la
vieille royauté avait habilement cultivées ; mais les bals de
l'Hôtel-de-Ville tombèrent en désuétude. Un fait prouve jusqu'à quel point l'Hôtel-de-Ville est le centre où viennent frapper toutes les impressions de la cité. Lors de la conspiration de Mallet, il y eut un moment où les conjurés étaient parvenus à accréditer, auprès du gouvernement lui-même, la nouvelle de la chute de Napoléon. Le premier soin de M. Frochot., alors préfet du département de la Seine, fut de faire préparer une des salles de l'Hôtel-de-Ville, pour l'installation du gouvernement provisoire. L'empereur ne lui pardonna pas cet excès de zèle et le destitua. En 1822 Quatre sergents du 45eme régiment de ligne de la Rochelle sont guillotinés en place de Grève à Paris. Les sergents Bories, Goubin, Pommier et Raoulx sont arrêtés le 19 mars et condamnés à mort le 5 septembre. Ils sont accusés d'appartenir à une organisation politique secrète, la Charbonnerie, complotant contre le régime de Louis XVIII. Cette exécution provoque l'émoi de l'opinion publique, choquée par la sévérité des juges. Les journaux libéraux et les jeunes artistes romantiques dénoncent le sort fait à des militants devenus des martyrs. Dans sa déposition devant la cour des pairs, M. de Chabrol, paraissant comme témoin, dans le procès des derniers ministres de Charles X, n'hésitait pas à dire, qu'il regardait la possession de l'Hôtel-de-Ville comme le signe assuré du succès, pour ceux qui s'y maintenaient ou pour ceux qui s'en emparaient. Le peuple de juillet 1830 ne s'y trompa point ; ce fut pour l'Hôtel-de-Ville et sur la place de Grève, qu'il livra le plus terrible de ses combats ; les traces en sont partout : les architectes ont beau les effacer, la mémoire du peuple les conserve et les transmet ; elle les à fait, passer dans son langage et dans ses habitudes ; rien ne peut les faire disparaître. Les Tuileries et le Louvre n'étaient que les postes secondaires ; c'était à l'Hôtel-de-Ville seulement que pouvait siéger la souveraineté nationale. Nous ne redirons pas cette partie de notre histoire ; mais nous devons rappeler que la plus glorieuse page des chroniques de la place de Grève à été écrite pendant les trois journées de juillet 1830. Pour la place de l'Hôtel-de-Ville, les journées de juillet furent une consécration ; il ne fallait pas que le sang des criminels tombât plus longtemps sur ces pavés. La place de l'Hôtel-de-Ville, glorifiée par des exploits si étonnants et si rapides, ne pouvait plus être souillée par les exécutions. Ce n'était pas assez qu'une décision officielle eût éloigné de la place de l'Hôtel-de-Ville l'appareil des exécutions ; une expiation semblait nécessaire. Le châtiment infligé aux criminels n'avait pas seul versé le sang répandu dans ce lieu : à toutes les époques de notre histoire, les passions politiques ou des vengeances ambitieuses y ont assouvi leurs fureurs. Si la cruauté de Louis Xl fit tomber aux halles la tête de Jacques d'Armagnac, si la haine implacable de
Les sergents de La Rochelle avaient été exécutés sur la place de Grève en 1822. Les citoyens comprirent le devoir que leur imposait ce souvenir ; on les vit, silencieux et recueillis, s'avancer vers le lieu où le sang avait été versé. Dans cette cérémonie, si digne de la victoire qui I'avait précédée, il n'y eut que des larmes et des paroles de louange. Longtemps elle fut pour le peuple de Paris un lieu de rendez-vous auquel il rapportait toutes ses sensations. Tout le mouvement de la ville laborieuse s'y faisait sentir. La foule y venait chercher ses délassements chéris, sûre de trouver là les récréations qu'elle aimait le plus ; sous les rires de la multitude s'étalaient les plus joyeux spectacles ; les bateleurs, et tous ceux qui remplissent de prodiges et de merveilles nos rues et nos places y établissaient leurs enchantements ; plus d'une fois, ces réjouissances nomades étaient dispersées par les valets du bourreau qui plantaient la potence et dressaient l'échafaud et le pilori. C'était sur la place de l'Hôtel-de-Ville que s'allumait le feu de la Saint-Jean, dont les flammes éclairaient les rondes populaires, et ne laissaient pas le loisir de penser à d'autres bûchers. C'était une cérémonie funeste pour les chats ; on en apportait de tous les coins de Paris ; on les enfermait dans des sacs, avant de les lancer dans le bûcher ; les liens qui les retenaient captifs étaient bientôt brisés, et, les animaux suppliciés bondissaient alors avec furie et avec des miaulements effroyables, au grand plaisir de la foule qui croyait pieusement brûler autant de sorciers qu'elle livrait de chats aux flammes de la Saint-Jean. Aux bons jours, on accourait sur la place de l'Hôtel-de-Ville, pour savoir s'il était tombé d'en haut quelques largesses dont il fallût se réjouir. La place de l'Hôtel-de-Ville, qui avait vu toutes les dissensions civiles, à vu aussi toutes les réconciliations. Dans certains pays, il existe, pour désigner l'hôtel-de-Ville, une dénomination qui, selon nous, résume avec bonheur toutes les idées qui se rattachent à cet édifice ; on l'appelle la maison commune. Tous les souvenirs du travail et de l'industrie de Paris ont, à l'Hôtel-de-Ville, leurs papiers de famille. C'est de là que partent chaque année nos jeunes soldats ; c'est de là qu'ils s'élancent avec des chants et des fanfares, heureux de ce qui chez tous les autres peuples est un sujet d'abattement et de douleur. La place de l'Hôtel-de-Ville est le vaste caravansérail d'une grande partie de la classe laborieuse ; toute la population des ouvriers employés aux constructions s'y réunit ; c'est là que se contractent les engagements auxquels Paris doit ses embellissements et ses constructions nouvelles ; c'est le bazar de la main-d'œuvre qui édifie. Faire grève est une expression consacrée, pour peindre la situation d'un ouvrier sans ouvrage. Ainsi, c'est sur cette même place, où il à si vaillamment conquis toutes ses libertés, que le peuple vient demander et chercher le travail.
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