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La Seine à Paris au XIXe siècle
(D'après A
traver le monde, paru en 1895)
La Seine, nous apprend la géographie, est un fleuve de France qui en traverse la capitale Paris après avoir reçu son affluent la Marne. En Parisien qui se respecte, nous avions atteint un certain âge sans éprouver le besoin de nous munir d'autres renseignements que ces données classiques. Mais que faire en été à moins qu'on n'excursionne ? La campagne ? non, pour
Pour le premier jour nous voulions remonter le fleuve, nous lancer sur ses flots bleus, afin de pouvoir nous donner l'illusion d'un vrai voyage. Notre expédition partit sous les auspices les plus favorables, saluée du bourdonnement joyeux de toute une bande de gens qui voguaient vers l'île de Robinson. Mais déjà le sentiment austère de notre mission s'emparait de nous : l'horizon, à notre nord, est barré par la haute structure du Point-du-Jour, ses arches innombrables hardiment profilées sur le ciel ; puis au-dessous de l'encadrement sombre d'une arche nous découvrons Paris. C'est là le véritable objet de notre voyage. Notre cœur palpite et nous commençons à croire qu'il faut sortir de Paris pour apprécier tout le charme d'y rentrer. Salués par le geste auguste de la statue de la Liberté qui garde si superbement le cap extrême de l'île des Cygnes, nous arrivons bientôt après à la véritable entrée de Paris, à ce splendide péristyle qui s'étend depuis les bâtiments de la dernière exposition jusqu'au Trocadéro en passant par le phare qui brille tout là-haut à 300 mètres au-dessus de la Seine. Le panorama ensuite se déroule : nous voyons des ponts, des ponts, une longue file de péniches dévidant un grave monôme derrière un petit remorqueur, puis plus loin une profondeur imposante de façades sévères – le Louvre – rejoignant au fond une véritable toile de décor moyen âge tout hérissée de flèches, de clochetons, de dômes : la Cité vons notre course en longeant la berge à droite. Notre décor du fond grandit. Près du pont des Arts, à quelques mètres de nous, deux blanchisseurs amateurs frottent énergiquement de douteuses chemises et de problématiques chaussettes. Étonnez-vous donc de la saveur de l'eau de Seine ! Au débouché du pont des Arts nous manquons d'être pris entre un lourd bateau omnibus et une guêpe à corsage blanc tout empanaché de fumée. Un coup de barre nous dérobe à ces
Quelques brasses encore et nous abordons dans notre port d'attache où nous mettons pied à terre avec toute la joie de vieux loups de mer qui rentrent d'une traversée au long cours. L'eau a ses charmes, mais le vélo a bien aussi les siens, et nous voulions que le nôtre fût de la fête. Il nous attend au port. Nous nous dirigeons vers lui, et bientôt nous filons avec rapidité. Qu'il fait bon traverser un air plus vif, plus fouetté par la brume humide de l'eau ! Aussi bien nous en avons vu, des bateaux, et assez pour le restant de notre vie ! Donc, plus de bateaux ; c'est à vélo que nous voulons visiter maintenant les bords de la Seine et tout ce qui les décore ; après quoi, pedibus cum jambis, nous nous mêlerons au monde hétérogène qui grouille sur ses berges et leur donne leur vie propre. Appuyant sur la pédale, nous parvenons bien vite au dédoublement des deux bras de la Seine ; la Morgue est là, mais nous préférons obliquer à droite, filant à côte des bateaux de pommes, et passer rapidement en revue ce bel édifice tout flambant neuf, blanc et or, avec des lions en bronze a toutes ses portes, qu'on nous dit être l'Hôtel de Ville de Paris. Nous débouchons sur la place du Parvis-Notre-Dame. Nous filons encore un peu, nous nous arrêtons net, nous nous retournons, et alors... nous admirons : Notre-Dame est devant nous ! Notre bicyclette appuyée contre le parapet, nous nous laissons nous-mêmes envahir par l'émotion qu'éveille au plus profond de notre être ce spectacle nouveau pour nous. Notre tribut d'admiration payé de bon cœur, nous ne pouvons plus jeter qu'un coup d'œil distrait sur les cubes de maçonnerie de la Préfecture. Un virage à droite nous transporte le long de la Conciergerie. Un autre virage à gauche nous fait apercevoir, dans un petit coin bleu, perdue dans un fouillis de maisons, la flèche toute dorée de la Sainte-Chapelle. Puis, en un emballage, nous arrivons à la statue du bon roi Henri. Voici le pont des Arts, si mouvementé et d'une animation qui emprunte un cachet tout particulier au passage des seuls piétons ; c'est aussi un endroit aimé des flâneurs, des ambitieux qui contemplent là-bas l'Institut, des gens qui viennent se jeter à l'eau, et de ceux qui viennent y admirer le décor de la Cité. Filant tout le long du Louvre, nous traversons à fond de train la place de la Concorde et débouchons bientôt au pied de la tour Eiffel. Reportés sur la rive droite par le pont de Grenelle, nous faisons au Point-du-Jour une arrivée sensationnelle. Nous mettons pied à terre à cet endroit : le rôle de notre bicyclette s'arrête là, et à pied maintenant. Nous nous mêlons aux groupes, déjà nombreux à cette heure, qui circulent sur la berge. Le débarcadère du bateau amène incessamment du monde nouveau. la foule grossit, va, vient, rit, chante et s'entasse – groupant pour un Watteau moderne, un autre Départ pour Cythère – Robinson. Hélas ! que ne puis-je vous suivre vers ces rivages heureux ! Mais j'ai conscience de mon rôle d'explorateur, je le remplirai jusqu'au bout. La vie générale des bords de la Seine n'est inconnue d'aucun des nombreux
Combien passent des heures à suivre les cascades de sable dégringolant de la banne soudain déclenchée des grues qui vont plonger leurs bras gigantesques au sein des lourds chalands ! Trié, égrené, criblé, mis par petits tas, le sable est ensuite chargé à grandes envolées de pelle dans le tombereau massif attelé d'un cheval plus massif encore. Mais, pour massive qu'elle est, la vaillante bête va tout à l'heure, en quelques coups de collier, faire démarrer l'énorme charge, puis, après un peu de souffle en haut, s'acheminera vers la nouvelle maison en train de s'édifier là-bas à l'autre bout de Paris. Il rencontrera en route des amis pareils à lui, traînant les gravats de cette même construction, qui vont aller se décharger là-bas, eux aussi, dans d'autres chalands qui les emporteront Dieu sait où : c'est ce qu'on appelle poétiquement un cycle.
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