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HISTOIRE
DE PARIS
(D'après Paris
à travers les âges, histoire nationale de Paris et des Parisiens
depuis la fondation de Lutèce jusqu'à nos jours,
paru en 1879)
Philippe III. — Pierre de Brosse au gibet de Montfaucon. — Lycée Saint Louis ancien Collège d'Harcourt. — Juif Jonathas, Eglise des Billettes — Philippe IV le Bel. — La basoche. — L'écolier pendu. — Les états généraux. — Le Temple. — Le procès des Templiers. — Leur exécution. — Les fêtes de la chevalerie. — La tour de Nesle. — Nourriture et costumes. — Les lieux d'exécution. — Les fêtes de la chevalerie. — La Tour de Nesle. — Nourriture et costumes. — Les lieux d’exécutions. L'année 1297 ne fut pas heureuse pour les pauvres gens dont les logis avaient été visités par l'eau, et le travail ne suffisait pas à donner à chacun le pain de chaque jour ; aussi les mendiants étalaient-ils sur toutes les voies publiques le spectacle de leur misère, ce qui n'empêcha pas qu'une belle cérémonie eut lieu dans les premiers jours du printemps ; ce fut celle de la canonisation de Louis IX, qui devint saint Louis. Le roi y invita tous les archevêques, évêques, abbés, prieurs conventuels et barons de son royaume. Le corps du saint fut mis dans une châsse d'argent et apporté processionnellement de Saint-Denis à Paris, d'où on le rapporta avec la môme pompe dans l'église Saint-Denis. Quelque temps après on en transféra une côte dans l'église de Notre-Dame, et une partie du chef fut portée à la Sainte-Chapelle. Mais lorsque les gens de métier et les bourgeois se furent amplement rassasié la vue des costumes brillants des seigneurs de la cour et des riches vêtements des hauts dignitaires de l'église, lorsqu'ils eurent vu défiler les hommes d'armes à fière mine et admiré la belle tenue des sergents, cela n'empêcha pas que plus d'un fut obligé de se coucher sans souper. La guerre vint encore ajouter les maux qu'elle traîne à sa suite à ceux qu'enduraient les Parisiens. On se battit contre les Anglais et les Flamands et lorsqu'une trêve de deux ans eût été conclue, ce furent de nouveaux démêlés qui s'élevèrent entre le roi et le pape qui envoya à Paris le cardinal Lemoine, en qualité de légat, pour tâcher d'arranger les affaires. Le légat commença par fonder la chapelle qu'on appela l'autel des paresseux, proche du choeur dans la nef de Notre-Dame, et en 1303 il acheta des Grands-Augustins l'emplacement qu'ils avaient occupé et y établit un collège qui fut nommé la maison du cardinal et il voulut qu'il y eût cent boursiers. Le cardinal mourut en 1313 et fut enterré dans la chapelle du collège qu'il avait fondée. Ses parents augmentèrent par de nouveaux dons les revenus et le nombre des boursiers de ce collège qui s'appela le collège du cardinal Lemoine. Un d'eux établit en mémoire du fondateur une cérémonie annuelle qu'on nomma la solennité du cardinal. Voici en quoi elle consistait : Le 13 janvier de chaque année, un familier du collège jouait le rôle du cardinal. Revêtu des habits de sa dignité, il le représentait à l'église et à table, et recevait gravement les compliments qu'on venait lui adresser. Plus tard, les comédiens de l'hôtel de Bourgogne assistèrent à la célébration de la messe solennelle qui était chantée à l'occasion de cette fête. C'était un tribut de reconnaissance payé par les comédiens à la famille du prélat, qui possédait dans leur salle une loge, longtemps appelée loge du cardinal
Une ordonnance royale du 7 juillet 1824 prescrivit la percement de trois rues sur son emplacement. La rue du cardinal Lemoine fut ouverte en 1825. Avant d'aborder le récit des grands faits qui se passèrent à Paris sous le règne de Philippe le Bel, mentionnons de suite pour n'avoir pas à l'interrompre, la fondation de deux ou trois autres collèges : Le 25 mars 1304, Jeanne de Navarre femme du roi Philippe le Bel, fit son testament et légua l'hôtel de Navarre situé rue Saint-André-des-Arts auprès de la porte de Bucy, qui lui appartenait, pour y fonder un collège dans lequel elle désirait qu'on élevât soixante-dix pauvres écoliers et qu'on y bâtit une chapelle desservie pour deux chapelains. Pour satisfaire aux charges de sa fondation, elle légua deux mille livres tournois de rente, somme très considérable alors. La reine Jeanne mourut en 1305. Gilles de Pontoise et Simon Festu, deux de ses exécuteurs testamentaires, vendirent l'hôtel de Navarre qu'ils ne jugèrent pas propice à l'établissement d'un collège et achetèrent avec l'argent de la vente un grand emplacement sur le versant de la montagne Sainte-Geneviève où ils bâtirent le collège de Navarre dont la première pierre fut posée le 2 avril 1309. Le roi en était le premier boursier
et le revenu de sa bourse était affecté à l'achat
des verges destinées à corriger les écoliers. Ce
collège était encore considéré à la
fin du XVIIIe siècle, comme le plus grand collège de Paris. Pendant les troubles qui survinrent sous le règne de Charles VI, le collège fut presque ruiné et la bibliothèque dévastée. Charles VII donna ordre en 1459 de les rétablir, mais cela ne fut exécuté qu'en 1464, sous Louis XI. Charles VIII donna, en 1496, 2400 livres pour achever l'édifice. En 1637, la bibliothèque très choisie de M. de Peiresc fut achetée par le collège d'où sortirent les premiers professeurs et dont les élèves appartenaient aux plus illustres maisons du royaume. Les collèges de Boncourt et de Tournay, fondés postérieurement et dont les bâtiments touchaient à ceux du collège de Navarre, furent réunis à ce dernier en 1638. Depuis la révolution de 1789, ces collèges ont cessé d'exister et les bâtiments furent et sont encore, occupés par l'école polytechnique. En 1308, Guillaume Bonnet, évêque de Bayeux, fonda rue de la Harpe le collège de Bayeux pour douze boursiers, dont six devaient être de l'évêché du Mans. De nouveaux statuts donnés à cecollège, le 30 novembre 1345, ajoutèrent quatre bourses aux douze ; le 25 août 1534 il subit une réforme et finit par être réuni à l'Université, en 1723. La porte principale du collège de Bayeux, démoli au mois d'octobre 1859 pour l'ouverture du boulevard de Sébastopol, a été démontée pierre par pierre et transportée à l'hôtel de Cluny. Ce collège était devenu une habitation particulière formant une sorte de passage entre la rue de la Harpe et celles des Maçons-Sorbonne, passage dans lequel se pressaient toutes les petites industries du quartier latin. La fondation d'un troisième collège rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, eut lieu en 1313 ; il s'appelait collège de Laon et eut pour fondateurs Gui de Laon, chanoine et trésorier de la Sainte-Chapelle, et Raoul de Presles clerc du roi, qui affecta à cette fondation outre cent livres de rentes, diverses maisons qu'il possédait à Paris dans la rue Sainte-Hilaire (depuis rue des Carmes), dans le clos Bruneau (depuis rue Saint-Jean-de-Beauvais). Il était destiné à recueillir les pauvres écoliers des diocèses de Laon et de Soissons ; la désunion se mit entre les deux fondatéurs et le collège fut divisé en deux établissements : celui de Laon et celui de Presles qui fut installé rue des Carmes et fut réuni en 1764 au collège Louis le Grand. Le collège de Laon occupa les bâtiments de la rue Saint-Jean-de-Beauvais. En 1340, les boursiers de ce collège se transportèrent à l'hôtel du Lion d'Or, situé entre la rue des Carmes et celle de la Montagne-Sainte-Geneviève. Il fut supprimé en 1790. Revenons à ce qui se passa à Paris ; mais d'abord quelques mots concernant certaines innovations apportées par Philippe le Bel dans ses institutions. Sous ce prince, furent arrêtées les conditions auxquelles on acquérait le droit de bourgeoisie. Tout colon libre pouvait aller trouver le prévôt avec deux témoins, s'engager à contribuer aux charges de la ville, et à bâtir ou acheter dans l'espace d'une année une maison de la valeur de 60 sous parisis ; et, à ces conditions, il devenait bourgeois de Paris, et en conséquence il était tenu d'y demeurer depuis la Toussaint jusqu'à la saint Jean d'été, ou du moins d'y laisser sa femme, ou son valet, s'il était célibataire. La population parisienne se composait donc : Du clergé, de la noblesse, dont le roi était le chef, des bourgeois ou propriétaires roturiers, des colons libres ou vilains, et des quelques serfs de la glèbe ; que leurs possesseurs avaient obstinément refusé d'affranchir. Antérieurement à Philippe le Bel, le parlement se tenait partout où le roi se trouvait. Ce prince le rendit sédentaire et lui assigna des dates fixes de tenue. Son ordonnance de 1291 porte que le parlement devait être composé d'une cour ou chambre de plaids, de deux chambres de requêtes et d'une chambre des enquêtes. Deux parlements durent se tenir à Paris. Les séances étaient fixées aux octaves de Pâques et de la Toussaint. En 1304, la chambre des plaids fut composée de treize clercs et de treize laïques. Le roi ordonna aussi que les auditeurs établis au Châtelet seraient supprimés et que, selon l'ancienne coutume, le prévôt donnerait des auditeurs aux parties ; il régla la façon dont les causes devaient être réparties selon leur importance, et institua enfin ce singulier royaume du Palais, qu'on appela le royaume de la basoche. C'était une association composée de clercs du parlement ; ce fut en 1303 qu'elle reçut de Philippe le Bel le titre de royaume, et l'autorisation de se former en tribunal, et de juger en dernier ressort, tant en matière civile que criminelle, tous les différends qui s'élevaient entre les clercs et toutes les actions intentées contre eux. Ce tribunal se composait, outre le roi qui le présidait, d'un chancelier, d'un vice-chancelier, d'un maître des requêtes, d'un grand audiencier, d'un procureur général, d'un grand référendaire, d'un aumônier, de secrétaires, d'huissiers, de greffiers, etc. Le roi avait le droit de porter la toge royale, de faire frapper une monnaie qui avait cours parmi les clercs et leurs fournisseurs ; il avait un sceau « d'azur, à trois écritoires d'or ». Ces basochiens étaient des jeunes gens
dont les procureurs, voyant l'augmentation toujours croissante du nombre
et des affaires portées devant le parlement, se faisaient aider
pour toutes les écritures de leur ministère. Ils gardèrent, pendant près de
cinq cents ans, intacts les privilèges qu'ils reçurent de
Philippe le Bel et surent les augmenter dans une large mesure. Philippe le Bel habitait ce palais de justice, qui était en même temps le palais du roi ; et ce ne fut qu'en 1431 qu'il fut abandonné entièrement au parlement. Des travaux considérables furent même ordonnés par ce prince, qui engloba dans son enceinte la chapelle de Saint Michel de la Place, chapelle qui donna son nom à un des ponts qui mettent le palais en communication avec la rive gauche. Nous avons dit qu'on murmurait à Paris ; c'est que chaque jour la vie devenait plus difficile, et les impôts augmentaient. En 1302, les Flamands s'étaient révoltés, et, après la désastreuse bataille de Courtrai, avaient suspendu aux voûtes de leur cathédrale quatre mille éperons de chevaliers français vaincus et massacrés. Une extrême pénurie d'argent avait engagé le roi à obliger ses sujets à apporter au trésor leur vaisselle d'or et d'argent, leurs bijoux et il donna des ordres secrets pour la falsification des monnaies, ce qui les fit tomber bientôt à la moitié de leur valeur nominale. Dans le cours d'une seule année, il altéra cinq fois les monnaies ! L'année précédente un fait scandaleux s'était passé à Paris. Un écolier du nom de Pierre Le Barbier, convaincu d'assassinat, avait été arrêté, jugé et pendu par les ordres de Pierre Le Jumeau, prévôt de Paris. Le recteur de l'Université, furieux contre cet acte de justice, qu'il considérait comme une violation des droits universitaires, fit immédiatement cesser l'exercice public de tous les cours dans les divers collèges. De son côté, l'autorité ecclésiastique, pour la première fois en pareille occurrence, d'accora avec l'Université, considéra le jugement du prévôt comme un attentat contre les droits de l'officialité qui, le 7 septembre, rendit une sentence ordonnant, sous peine d'excommunication à tous les curés de Paris, archiprêtres, chanoines, etc., de se trouver le lendemain matin, jour de la nativité de la Vierge, à l'église de Saint-Barthélémy à l'heure de tierce. Tout le monde fut exact au rendez-vous ; jamais on n'avait vu un tel assemblage de robes noires.
L'official et le recteur firent signe qu'ils
voulaient parler et réclamèrent le silence ; ce fut l'official
qui prit la parole et s'adressant au prévôt qu'il savait
être dans la maison : Et le populaire, se mettant de la partie, fit entendre des cris de mort contre l'infortuné prévôt qui fut obligé d'aller, suivi d'une foule qui à tous moments menaçait de le mettre en pièces jusqu'à la potence où se balançait le corps du pendu, de l'en détacher, de le baiser à la bouche et de le remettre au recteur. Les plus exaspérés ne se contentaient pas de cela, ils voulaient que le prévôt mourût, mais le roi, informé de ce qui se passait, intervint et il fut convenu que Le Jumeau serait déchu de son office de prévôt et de plus, qu'il s'en irait à pied à Avignon, trouver le pape, afin de le prier de le relever de l'excommunication prononcée contre lui. Le roi, responsable de l'acte de son prévôt, qui avait agi en son nom, consentit à assigner sur le trésor royal quarante livres tournois de rente perpétuelle pour la fondation de deux chapelles, à la nomination de l'Université. A ce conditions, l'Université consentit à laisser vivre le prévôt et après avoir fait enterrer l'écolier avec honneur, elle voulut bien ordonner que les écoles seraient rouvertes à la Toussaint. Le roi, rongeant son frein, attendit une occasion favorable pour se venger de la pression à laquelle il avait été forcé de céder. Cherchant dans toute la nation des appuis qui lui manquaient, Philippe avait convoqué ses barons, les évêques et les syndics des communautés dans une assemblée générale, tenue le 10 avril 1302, et qui peut être considérée comme la première réunion des Etats généraux. « Les Etats généraux de Philippe le Bel, a dit Michelet, ont été l'ère nationale de la France, son acte de naissance. » Il s'agissait de se prononcer sur le droit que pouvait avoir le roi de lever les subsides sur le clergé et par contre, de juger si le royaume de France était tenu à foi et hommage envers le pape et devait se considérer comme son sujet, ainsi que le prétendait Boniface VIII, qui avait lancé une bulle d'excommunication contre la France et le souverain, bulle que Philippe avait fait brûler le 11 février 1302. L'assemblée déclara à l'unanimité « que les rois ne reconnaissaient aucun souverain sur terre, à l'exception de Dieu et que c'était une abomination d'entendre Boniface soutenir que les royaumes lui étaient soumis non seulement pour le spirituel, mais encore pour le temporel. » L'année suivante, une nouvelle assemblée fut tenue au Louvre à l'effet de convoquer un concile, afin d'en appeler à sa décision et Philippe fit lire l'acte d'appel en présence du clergé et du peuple assemblés dans la cour du palais. La querelle s'envenima et le roi finit par envoyer en Italie son chancelier Nogaret pour enlever le pape. En France, c'était contre les juifs que Philippe sévit. Tant de fois chassés et rappelés, ils furent encore une fois bannis et si l'on en croit les rabbins Shebet et Levi Bengerzon, ce ne fut pas seulement l'exil qu'ils eurent à subir, mais une persécution violente, qui s'attaqua aussi bien à leur personne qu'à leurs biens. Ils prétendent qu'il périt alors deux fois autant de juifs que Moïse en avait tiré d'Egypte. Laissant de côté cette exagération, il est certain qu'un grand nombre de ceux qui habitaient Paris eurent à souffrir et l'un d'eux, accusé de s'être moqué d'une image de la Vierge, fut brûlé vif. Un autre nommé Guiart, qui se disait l'ange de Philadelphie et se prétendait chargé d'une mission divine, s'étant vanté de porter un vêtement que le pape lui-même était impuissant à lui faire quitter fut arrêté et déjà on se disposait à le brûler, mais il se jeta aux genoux d'un prêtre, confessa son erreur, donna tous les signes d'une vive contrition et obtint d'être seulement enfermé pour le reste de ses jours. On sait que les juifs ne possédaient plus qu'une synagogue dans la rue de la Tâcherie, Philippe le Bel la donna à son cocher Jean Pruvin en 1307. Ils avaient un cimetière dans la rue de la Harpe, ce furent les religieuses du monastère de Poissy qui l'achetèrent en 1311, moyennant mille livres tournois et le revendirent en 1321, au comte de Forest. Or, tandis que les juifs étaient obligés de quitter Paris, les chrétiens qui y demeurèrent eurent à souffrir de l'intempérie de la saison. Pendant l'hiver de 1305-1306, après des gelées qui firent mourir de froid beaucoup de pauvres gens, vinrent les pluies qui amenèrent une inondation qui emporta les ponts et les moulins bâtis sur la rivière. Beaucoup de grands bateaux qui se trouvaient amarrés furent brisés au port de la Grève et on eut à déplorer la perte d'une grande quantité de marchandises. Naturellement, la disette arriva. Quelques spéculateurs profitant de la misère publique, achetèrent le peu de blé qui se trouvait dans les environs de Paris et le chargèrent sur des bateaux pour le transporter à Rouen, où il se vendait encore plus cher qu'à Paris ; mais ils furent arrêtés et on eut grand'peine de les soustraire à la colère du peuple qui demandait leur mort. L'inondation et la disette avaient violemment surexcité les Parisiens qui, tout en ayant admiré le roi entrant à cheval, armé de toutes pièces, à Notre-Dame après la bataille de Mons en Puelle, n'étaient nullement satisfait de la façon dont il faisait fabriquer la monnaie ; bientôt ils s'aperçurent que les fréquents changements que le roi avait fait subir au poids des pièces d'argent les discréditaient tellement, qu'un denier frappé sous saint Louis en valait trois fabriqués sous Philippe, ils se fâchèrent. Philippe craignit des troubles et se hâta de faire frapper de nouvelle monnaie au poids légal ; mais celle-ci ayant été mise en circulation dans Paris avant que la précédente fût retirée, le peuple irrité se mutina et Philippe ne se croyant pas en sûreté dans son palais, alla chercher un refuge à la tour du Temple. Car depuis que les templiers s'étaient installés dans leur enclos, ils avaient grandement prospéré. Ils occupaient un terrain dont la superficie couvrait cent vingt à cent trente hectares ; leur palais était entouré de hautes murailles crénelées et fortifiées par des tourelles. L'entrée qui était située sur la rue du Temple était également fortifiée, et une partie de ce premier corps de bâtiment servait de geôle et des casemates, ou cachots, s'étendaient sous la grosse tour. Cette tour qui mérite une description particulière était à elle seule un monument. Elle existait encore au commencement de ce siècle et à cette époque si on ne pouvait guère juger de sa hauteur avec exactitude, attendu que l'édifice paraissait être enterré au moins d'un étage, on pouvait évaluer ce qui était hors de terre à 22 ou 23 mètres, sans compter le comble. Sa largeur était à sa base de dix mètres sur chacune de ses faces, au rez-de-chaussée était une vaste pièce, au milieu de laquelle était une colonne avec un
Un second escalier placé dans une tourelle
à l'un des angles du bâtiment, menait à la plate-forme,
sur laquelle fut élevé plus tard un comble. Les murs étaient
construits en pierres de taille de petite dimension et avaient à
leur base un mètre trente centimètres. Une quantité de maisons mal bâties et d'une apparence sordide, existaient non seulement dans l'enclos, mais encore semblaient grimper le long des bâtiments principaux. Une fois dans le Temple, il était permis de se considérer à l'abri de toute agression. Ce fut probablement ce que pensa Philippe le Bel lorsqu'il vint s'y réfugier. L'émeute commençait à gronder dans les rues de Paris. Et une bande de mutins, armés de tout ce qui avait pu leur tomber sous la main, vint résolument se présenter à la porte Barbette, à celle de Beaubourg et marcha droit au Temple, en vociférant des cris et des menaces de mort. Mais lorsque les séditieux se virent en face de cette masse imposante qui se dressait sombre et menaçante devant eux et qu'ils eurent mesuré de l'oeil la hauteur des tours et sondé par la pensée l'épaisseur des murailles, la plupart s'arrêtèrent ; cependant, quelques uns des plus audacieux, marchèrent en avant et s'engageant sous le porche, arrivèrent jusqu'aux cuisines. — Que voulez-vous ? demanda le maître queux peu rassuré à la vue de ces singuliers visiteurs. — Savoir ce qu'on fait ici, répondit le plus hardi. — Mais, le dîner de notre cher sire, le roi. — Où est-il ce dîner ? — Le voici. Et il présenta un plat appétissant à l'homme qui s'en saisit et le passa à ses compagnons. — Tenez, vous autres, c'est le roi de France qui régale. Et tout ce qui se trouva dans la cuisine eut la même sort. Mais déjà, l'alarme s'était répandue dans la tour et les moines soldats allaient faire payer cher à ces révoltés leur insolence, lorsque le roi ordonna qu'on laissât sortir les gens librement et son prévôt les engagea tout doucement à se retirer. Ils se retirèrent en effet, tout fiers d'avoir mangé le dîner du roi, mais ce fut pour courir à la demeure d'Étienne Barbette, voyer de Paris et maître de la Monnaie. Son hôtel était situé dans la rue de ce nom (il fut vendu en 1403 à Jean de Montagu, qui, la même année, le revendit à la reine Isabeau de Bavière, femme de Charles VI. Il passa ensuite à Diane de Poitiers, aux duchesses d'Aumale et de Bouillon qui le vendirent en 1561 à des particuliers qui le démolirent. Sur son emplacement fut percée, en 1563, la rue Neuve-Barbette, ainsi nommée, pour la distinguer de la rue Vieille-Barbette, qu'on appela depuis rue Vieille-du-Temple, de manière que la rue Neuve-Barbette est devenue celle que nous appelons aujourd'hui la rue Barbette). Heureusement pour lui, il était absent ; ils s'en vengèrent en dévastant la maison et les jardins. Or, Philippe qui avait dissimulé sa colère, n'était pas homme à laisser la sédition impunie ; quelques jours plus tard, le prévôt faisait une enquête sévère et le dimanche suivant, on put voir le long des remparts vingt-huit cadavres de pendus s'entrechoquer à chaque coup de vent. Le bruit courut que les Templiers n'avaient point été tout à fait étrangers à ce soulèvement populaire, et que si la lourde porte du Temple s'était si facilement ouverte devant ceux qui étaient venus y insulter à l'autorité royale, c'est qu'ils n'avaient fait aucune difficulté pour leur livrer passage. Quelques historiens ajoutent même que le monarque conçut un ressentiment très vif de cette affaire et qu'à partir de ce moment, la perte des Templiers fut arrêtée dans son esprit. Depuis que les « pauvres soldats du Christ » étaient venus demander à Louis le Gros un toit à Paris pour y abriter leur tête et une chapelle pour y prier Dieu, ils étaient devenus de riches et puissants personnages. |
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