Monuments, édifices de Paris
Cette rubrique vous narre l'origine et l'histoire des monuments et édifices de Paris : comment ils ont évolué, comment ils ont acquis la notoriété qu'on leur connaît aujourd'hui. Pour mieux connaître le passé des monuments et édifices dont un grand nombre existe encore.
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LE PALAIS DE JUSTICE
(D'après Paris, 450 dessins inédits d'après nature, paru en 1890)

Le pavillon central, reconstruit sous Louis XVI d'après les plans de l'architecte Desmaisons, et consacré principalement aux audiences de la Cour d'appel de Paris, est limité sur la cour du Mai par la grande façade, précédée d'un bel escalier, qui conduit à un péristyle couvert appelé galerie Mercière ; à droite par une autre galerie nommée galerie Marchande ou galerie Lamoignon ; à gauche, par la cour de la Sainte-Chapelle, au fond par des cours intérieures, qui permettent de traverser le Palais de part en part, du quai de l'Horloge au quai des Orfèvres.

Le troisième prit, dans la nuit du 10 au 11 janvier 1776, à la salle qu'on appelait

Les deux écus accolés de France
et de Pologne sur le cadran
de la tour carrée

la galerie des Prisonniers, qui s'écroula dans le préau de la Conciergerie au-dessus duquel elle était bâtie. Le feu gagna toutes les parties intérieures entre la galerie des Prisonniers, la Sainte-Chapelle et l'hôtel du premier président, c'est-à-dire toute la partie centrale du Palais, une partie des bâtiments de la Conciergerie et la vieille tour de Montgomery.

Enfin, le dernier incendie fut allumé par les ordres de la Commune insurgée, le 26 mai 1871, pendant l'entrée, des troupes dans Paris. Il dévora la grande salle, les bâtiments de la Conciergerie, les anciens bâtiments qui longeaient la Cour d'assises ; démantela les vieilles tours, et consuma, perte irréparable, les archives civiles et criminelles, le greffe et les casiers judiciaires, à la destruction desquels les incendiaires étaient spécialement intéressés.

Ces catastrophes, non moins que les restaurations et les reconstructions jugées nécessaires par la suite des temps, ont successivement atteint les parties anciennes du Palais pour les réduire à l'étroit périmètre indiqué ci-dessus.

Ces noms de galerie Marchande et de galerie Mercière rappellent qu'au temps jadis elles étaient occupées, ainsi que la grande salle et les murailles extérieures du Palais, par une foule d'échoppes et d'étalages, où de jeunes et jolies marchandes débitaient les colifichets de la mode, rubans, aiguillettes, bonnets, guimpes, fine lingerie ; les livres nouveaux n'y manquaient pas ; c'est là que Claude Barbin et ses émules vendaient aux beaux cavaliers et aux belles dames les pièces nouvelles de Corneille, de Molière et de Racine ; c'est là que se donnaient les rendez-vous galants ; enfin cette promenade à la mode, qui ne fut délaissée que peu d'années avant la Révolution française au profit du Palais-Royal, eut l'honneur de fournir à Pierre Corneille le sujet et le titre d'une des premières comédies : la Galerie du Palais. Malgré tout, les petites boutiques subsistèrent même sous le règne de Louis-Philippe, jusqu'en 1842 ; mais elles n'offraient plus à leur clientèle que de menus objets de mercerie et surtout des rabats de linge pour les avocats et les officiers ministériels.

Tout commerce a disparu depuis les dernières reconstructions, et la location des robes, des toques, des rabats, des. toges et épitoges est devenue l'objet d'un monopole au profit de deux locataires, établis l'un dans la galerie Mercière, l'autre à proximité de la Cour d'assises et de la chambre des appels correctionnels, c'est-à-dire aux deux bouts opposés du Palais.

Revenons au corps de logis central. Il s'ouvre, au milieu de la galerie Mercière, par un portique à colonnes ioniques, surmonté des armes de France, formant l'entrée d'un escalier largement éclairé, et au milieu duquel on aperçoit dans une niche l'élégante statue de la Loi, œuvre de Gois ; elle porte le sceptre dans une main et de l'autre le livre de la Loi où sont gravées ces paroles : In legibus salies. Cet escalier conduit aux salles de l'ancienne Cour des aides, occupées aujourd'hui par les trois premières chambres de la Cour d'appel. Elles sont précédées par une salle d'attente, qui sert aussi de bibliothèque, et accompagnées chacune d'une chambre du conseil pour les délibérations de la Cour et d'un cabinet de travail pour le président. Elles sont d'un aspect sévère, comme il convient. Les murailles en sont vertes ou grises, d'un seul ton ; le bureau ou tribunal, au sens propre du mot, derrière lequel siègent les conseillers, est tantôt droit, tantôt en forme de fer à cheval.

A la droite de celui-ci, un petit bureau et un fauteuil, sur une estrade, sont réservés au représentant du ministère public ; à gauche, le greffier de service ; au centre, dans le parquet ou enceinte fermée au-dessous du tribunal, la table de l'huissier audiencier qui fait l'appel des causes, exécute les menus ordres du président et maintient l'ordre dans l'auditoire en criant : « Silence, messieurs ! » avec la voix et l'accent traditionnels de M. Doublemain dans le Mariage de Figaro. Le parquet est limité par une balustrade, appelée techniquement la barre, sur laquelle s'appuient les avocats en prononçant leurs plaidoiries, ou les avoués en présentant leurs observations. L'espace garni de bancs qui leur est réservé, et où peuvent s'asseoir également les parties en cause, qui, d'ailleurs ; ne peuvent être entendues elles-mêmes qu'en vertu d'une autorisation formelle du président, est limité en arrière par une seconde barre, qui maintient le public proprement dit dans le fond de la salle et l'empêche de serrer la Cour de trop près.

Telle est la disposition générale de toutes les salles d'audience du palais de Justice. Quelques-unes offrent cependant des particularités qui leur sont propres. La première chambre, par exemple, dont les fenêtres donnent latéralement sur la cour qui précède le double porche de la Sainte-Chapelle, renferme un magnifique calvaire peint par Van Eyck ; c'est un des rares objets d'art qui subsistent de l'ancienne ornementation du Palais. Au centre, s'élevant comme un dôme entre deux panneaux latéraux, le Christ est sur la croix ; à sa droite, la Vierge soutenue par deux saintes femmes, par saint Jean-Baptiste et par Saint-Louis, à qui le peintre a donné la ressemblance exacte du roi Charles VII, sous le règne duquel il exécuta ce chef-d'œuvre ; à gauche, saint Jean l'Évangéliste, saint Denis, saint Charlemagne ; au-dessus de sa tête le Saint-Esprit et le Père éternel, entourés d'anges ; le fond est occupé par un paysage, sinon des plus vraisemblables, du moins des plus curieux ; il représente la ville de Jérusalem, la tour de Nesle, le Louvre avec son donjon, et les bâtiments gothiques du palais de Justice.

Ce tableau du grand peintre de Bruges, exécuté dans le premier tiers du XVe siècle, était autrefois placé dans la grande chambre du Parlement, au-dessus d'un portrait de Louis XII, que le peuple, dont il était le Père, détruisit en 1793. La portion du bâtiment qui renferme les trois premières chambres de la cour, en arrière du portique ouvert sur la galerie Mercière, avait évidemment échappé à l'incendie de 1776. Elle forme un parallélogramme allongé d'une très grande élévation, terminé du côté ouest par un pignon très aigu. Sa face latérale et méridionale, donnant sur la cour de la Sainte-Chapelle, est percée de hautes fenêtres à pilastres, ornées de sculptures et couronnées par de très beaux frontons ouverts au sommet, qui caractérisent le style de la Renaissance. Elle dut être construite sous les Valois, et au plus tard sous le règne de Henri IV.

Nul historien ancien ou moderne n'en a parlé, et c'est pourquoi l'on croit devoir reproduire ci-contre cette façade intéressante, qui communique par en bas avec la Sainte-Chapelle au moyen d'un palier en pierre de plain-pied avec le porche supérieur, ouvrant par une porte battante sur l'extrémité gauche de la galerie Mercière. Les cinquième, sixième et septième chambres de la Cour d'appel ont

Façade ancienne
du Palais de Justice
leur entrée sur la galerie Marchande ou Lamoignon, les unes par un vaste escalier qui desservait autrefois une des salles de la Cour d'assises, d'autres au-dessous même de cet escalier. Enfin, la quatrième chambre est reléguée dans l'encoignure nord-est de la galerie Marchande.

La galerie Mercière s'ouvre par son extrémité nord, à droite de la Salle dite des Pas Perdus, l'une des plus vastes de ce genre qui existe en Europe. Elle mesure 74 mètres de longueur sur 28 mètres de largeur. Telle qu'on la voit aujourd'hui, elle en est à sa troisième construction. La première grande salle du Palais, en ce temps-là Palais Royal, avait été bâtie sous Philippe le Bel, par les soins d'Enguerrand de Marigny, et achevée vers 1313. Elle fut successivement ornée des statues de tous les rois de France depuis Pharamond jusqu'à François Ier ; les victorieux étaient représentés les mains élevées vers le ciel en signe d'actions de grâces, les malheureux, la tête et les mains baissées vers le sol.

L'ornement le plus célèbre de la grande salle du Palais était une immense table de marbre d'un seul morceau, placée à sa paroi méridionale. Aux jours solennels, on y servait le festin des têtes couronnées. C'est là que les rois donnaient audience aux ambassadeurs, et que l'on célébrait les noces des enfants de France, qu'on publiait les traités de paix et les tournois. La table de marbre servait aussi de théâtre aux clercs de la basoche pour donner au peuple, à certains jours fériés, des représentations théâtrales, jeux, soties et moralités. Après l'incendie de 1618, la table de marbre disparut, brisée en morceaux, dont quelques-uns subsistent, paraît-il, parmi les débris de monuments conservés dans les magasins souterrains du palais de Justice. Une nouvelle salle fut reconstruite par Jacques Desbrosses en 1622, sur le même emplacement, avec les mêmes dimensions, mais avec une ornementation beaucoup plus sévère. Brûlée de nouveau par la Commune, elle fut promptement restaurée par MM. Duc, Dommey et Daumet. Elle est divisée en deux nefs parallèles, voûtées, et séparées par un rang d'arcades à plein cintre, porté par des piliers d'ordre dorique.

Chacune de ces nefs est éclairée par une demi-rose à rayon de pierre, prenant jour sur le boulevard du Palais. Des baies ovales, ouvertes au plus haut de la voûte, versent la lumière du ciel sur ce vaste forum de plaideurs et d'hommes de loi. Les sept chambres civiles du Tribunal et la chambre des criées ont leur entrée dans la salle des Pas Perdus, soit au rez-de-chaussée, soit à un étage supérieur auquel on accède par deux escaliers à double rampe ; le premier s'ouvre sur la salle elle-même, et l'autre ne s'aperçoit que si l'on a franchi la porte qui conduit à l'audience des référés. Une plaque de marbre, scellée dans l'imposte de cette porte, à l'intérieur d'une sorte d'antichambre, rappelle que cette partie du palais fut reconstruite en 1853, sous le règne de Napoléon III, le baron Haussmann étant préfet de la Seine.

Au milieu de la partie méridionale de la salle des Pas Perdus, un monument de marbre a été élevé en 1821 à Malesherbes, le courageux avocat qui défendit Louis XVI à la barre de la Convention. Il comprend la statue en pierre de Malesherbes ayant à ses côtés la France et la Fidélité. Le soubassement contient des bas-reliefs qui représentent les différentes phases de ce mémorable procès. Les plans sont de Bosio et la sculpture de Cortot. Le roi Louis XVIII en composa lui-même l'inscription latine gravée sur le soubassement.

De l'autre côté, vers le fond de la salle, on remarque la statue de Berryer, hommage qui s'adresse apparemment à l'Éloquence considérée comme l'auxiliaire de la Justice.

Enfin, dans l'angle nord-ouest de la salle des Pas Perdus, à gauche du monument de Berryer, s'ouvre la première chambre, présidée de droit par le président du Tribunal. Malgré ses transformations, disons mieux, ses mutilations successives, cette chambre est pleine des souvenirs du passé, pleine aussi d'ombres plaintives dont la voix innocente traverse les siècles. C'était la chambre à coucher de Saint-Louis, qui, reconstruite avec une grande magnificence par Louis XII pour son mariage avec Marie d'Angleterre, fille du roi Henri VII, prit le nom de Chambre dorée, et qui, devenue la Grand Chambre, joua un rôle éclatant dans les annales du Parlement de Paris.

C'est là que le maréchal de Biron fut condamné à mort le 28 juillet 1602 ; c'est là qu'un même arrêt de mort fut prononcé contre la maréchale d'Ancre le 8 juillet 1617 ; c'est là que les rois de France tenaient leur lit de justice, réellement dressé au fond de la salle, dans l'encoignure de droite et composé d'une haute pile de coussins drapés de velours bleu semé de fleurs de lis d'or ; c'est là enfin que pénétra, le 3 mai 1788, le marquis d'Agoult, commandant trois détachements de gardes françaises, de gardes suisses, de sapeurs et de cavaliers, chargé d'arrêter les conseillers d'Épréménil et Goislard, et que le président, entouré de cent cinquante magistrats et de dix-sept pairs de France, tous revêtus des

Salle des Pas Perdus

insignes de leur dignité, sommé de désigner les deux inculpés, répondit au marquis d'Agoult, interdit et tremblant : « Nous sommes tous d'Épréménil et Goislard. » Quel était leur crime ? Ils avaient obtenu du Parlement un arrêt déclarant que la nation seule avait le droit d'accorder des impôts par l'organe des États généraux. Cet arrêt et la scène qui s'ensuivit furent le prologue de la révolution française.

Quatre ans après, il n'y avait plus ni monarque, ni Parlement, ni gardes françaises, ni gardes suisses. A la Grand Chambre du Palais, devenue salle de l'Égalité, s'installa le 17 avril 1792 le premier Tribunal révolutionnaire, remplacé le 10 mai 1793 par le Tribunal criminel extraordinaire, réorganisé le 26 septembre suivant par un décret qui contenait cette phrase encore plus extraordinaire que le tribunal lui-même : « La loi accorde un défenseur au patriote calomnié ; elle en refuse aux conspirateurs. »

C'est là que comparurent – on ne peut pas dire furent jugés – et ce même d'Épréménil, qui avait proclamé les droits de la nation, et Barnave, et les Girondins, et la reine de France, et Madame Élisabeth, et Danton, et Camille Desmoulins, Chaumette, Hébert, Fabre d'Églantine, puis à leur tour les deux Robespierre, avec Couthon, Collot d'Herbois, Saint-Just, Henriot et Fouquier-Tinville lui-même, au total deux mille sept cent quarante-deux victimes, dont les deux mille sept cent quarante-deux têtes tombèrent dans le panier rouge, soit à l'ancienne place Louis XV, devenue place de la Révolution, soit à la place du Trône, devenue Barrière Renversée. On en a la liste numérotée qui s'envoyait par abonnement aux amateurs, et qui, commencée par la fournée du 26 août 1792, où l'on remarquait les noms de La Porte, l'intendant de la liste civile, du journaliste Durozoi et du vieux Jacques Cazotte, se termine au numéro 2742 par Pierre-André Coffinhal, vice-président du Tribunal révolutionnaire et membre du conseil général de la Commune de Paris.

Aucune apparence d'équité, nul simulacre de formes judiciaires ne colorait ces sanglantes hécatombes. La plupart des victimes, sacrifiées d'avance, étaient amenées à la Conciergerie à huit heures du matin, traduites à deux heures devant le Tribunal et exécutées à quatre heures. Une imprimerie installée dans une salle adjacente à celle du Tribunal communiquait avec celui-ci par un guichet pratiqué dans le mur, et par lequel on passait les pièces ou les notes relatives à l'affaire en cours ; le jugement était quelquefois composé, imprimé et colporté dans les rues par les crieurs avant d'avoir été lu aux condamnés. – « Tu déshonores la guillotine ! » avait dit un jour Robespierre à Fouquier-Tinville, accusateur public.


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