Monuments, édifices de Paris
Cette rubrique vous narre l'origine et l'histoire des monuments et édifices de Paris : comment ils ont évolué, comment ils ont acquis la notoriété qu'on leur connaît aujourd'hui. Pour mieux connaître le passé des monuments et édifices dont un grand nombre existe encore.
magazine d'histoire, chroniques anciennes, le Paris d'antan, périodiques du passé
de la rubrique
Monuments
CLIQUEZ ICI

LE PALAIS DE JUSTICE
(D'après Paris, 450 dessins inédits d'après nature, paru en 1890)

De cette salle historique il ne reste plus que les quatre murs, encore ont-ils été amputés vers le fond par une cloison qui ménage derrière le siège du président une salle de délibération, éclairée sur le quai de l'Horloge par la verrière ogivale qu'on aperçoit du dehors entre les deux grosses tours, au-dessus de l'ancienne entrée de la Conciergerie. Le bâtiment se termine par un pignon aigu, dont le faîte, perpendiculaire au quai, est couronné par une grille en fer forgé qui se découpe légèrement sur le ciel.

Ce raccourcissement pratiqué sur le fond de l'ancienne Grand Chambre ne lui laisse plus de jour que par des fenêtres latérales donnant sur une cour étroite de la Conciergerie. Ces changements et la destruction de tous les ornements anciens ont cependant respecté la petite porte ouverte dans la paroi de gauche, occupée de 1792 à 1795 par les bancs des accusés. C'est par cette petite porte,

Entrée de la Cour d'Assises
qui donne accès à une tourelle bâtie en arrière de la tour d'Argent, que Marie-Antoinette montait pour comparaître devant les jurés révolutionnaires et qu'elle redescendait à son cachot, que nous retrouverons tout à l'heure.

Dans les premières années de ce siècle, l'ancienne Grand Chambre, purifiée et restaurée, devint la grande salle de la Cour de cassation. Mais depuis que celle-ci possède enfin une installation digne d'elle, elle a cédé la place à la première chambre du Tribunal civil.

Le dédale du palais de Justice doit commencer à s'éclairer pour le lecteur. Les explications précédentes se résument en ces deux termes très simples. La Cour d'appel occupe actuellement tout le bâtiment central et déborde même quelque peu sur les dépendances de la salle des Pas Perdus, et autour de celle-ci sont groupés tous les services du Tribunal civil. Quant à la Cour de cassation, elle est magnifiquement logée dans un palais à elle, qui occupe tout le parallélogramme compris, dans sa longueur entre le quai depuis la tour Bonbec jusqu'à la rue de Harlay et la galerie Lamoignon, dans sa largeur entre la galerie Saint-Louis et la façade sur la rue de Harlay.

On appelle galerie Saint-Louis une ancienne galerie qui, partant de la galerie Lamoignon ou galerie Marchande, aboutit au couloir parallèle au quai qui réunit intérieurement tous les services du premier étage de ce côté du Palais, c'est-à-dire la Cour de cassation, depuis l'angle de la rue de Harlay jusqu'à la tour d'Argent, qui marque la limite de la première chambre du Tribunal civil. La galerie Saint-Louis, qui forme passage du sud au nord, a vue du côté droit sur la cour de la Conciergerie, et longe du côté gauche la chambre civile de la Cour de cassation, qui s'ouvre sur elle au delà du perron d'entrée. Avant l'incendie de 1871, elle était réservée à la Cour suprême et le public n'y était pas admis. Elle a été refaite de fond en comble et livrée à la circulation ; les murs sont couverts d'ornements peints, moulés et dorés, et de fresques représentant des traits de la vie de Saint-Louis.

Au milieu, la face tournée vers l'Orient, c'est-à-dire vers le préau de la Conciergerie, s'élève sur un trône l'effigie de saint Louis en bois sculpté et colorié. La place n'est pas mal choisie, car, au XIIIe siècle, l'emplacement actuel des préaux de la Conciergerie était entretenu en nature de jardins qui s'étendaient jusqu'à la rue de Harlay et contenaient de grands arbres sous lesquels le saint roi aimait à méditer et rendait parfois la justice. Cependant, il est permis de regretter que la galerie qui porte son nom et consacre son souvenir n'ait pas été restaurée dans son ancien style, et le style de saint Louis, comme celui de la Sainte-Chapelle, c'est le style gothique dans toute sa grâce mystique et dans sa splendide floraison.

Les trois chambres de la Cour suprême, chambre des requêtes, chambre civile et chambre criminelle, sont confortablement installées ; le bureau central est occupé seulement par le premier président et ses assesseurs ; les autres conseillers trouvent place, des deux côtés de la salle, à des bureaux séparés les uns des autres de deux places en deux places. Tous les meubles sont en bel acajou sombre, garni de drap ou de velours. Le couloir qui dessert non seulement les salles d'audience, mais encore les cabinets des présidents, des greffiers, des avocats et des avoués à la Cour, et le vestiaire circulaire élégamment organisé au premier étage de la tour Bonbec, aboutissent sur la façade de la rue de Harlay, à travers une vaste antichambre, à :une salle d'audience solennelle, de dimensions considérables, puisqu'elle doit pouvoir contenir les magistrats de toutes les chambres réunies, et d'une très grande beauté.

La haute estrade du président et des vice-présidents, où le fauteuil le plus élevé est réservé au ministre de la justice, comme on le réservait autrefois au souverain, est dominé par un trophée au centre de drapeaux tricolores que surmonte un Christ dû au pinceau de Henner. Mais la merveille de cette salle, c'est le plafond, dont les caissons et les volutes sculptés et dorés encadrent la

La grille dorée du Palais

magnifique page de Paul Baudry, symbolisant la Cour de cassation, qui fut la gloire du Salon de 1881 et obtint le grand prix.

Tous les abords publics de la Cour de cassation se font par la galerie Lamoignon, et ceux des magistrats par le couloir dont j'ai parlé, que dessert un bel escalier descendant jusqu'au quai, où il aboutit à une porte monumentale réservée aux seuls magistrats.

Le grand escalier découvert de la place de Harlay conduit à la salle des Pas Perdus de la Cour d'assises. Deux escaliers latéraux y débouchent se faisant face, celui de gauche conduisant à la Cour d'assises, celui de droite à la chambre des appels correctionnels de la Cour. Un beau Christ peint par Bonnat est le seul ornement artistique de la Cour d'assises. Un troisième escalier, ouvert dans l'angle droit de la salle des Pas Perdus, précède un couloir par lequel on pénètre dans l'aile droite du Palais, occupant l'angle de la rue de Harlay et du quai des Orfèvres. Elle renferme divers services de la Préfecture de police, notamment les bureaux de la Sûreté générale, ceux des commissaires de police spécialement commis aux délégations judiciaires, le bureau des passeports et le cabinet du chef de musique de la garde républicaine.

Au delà de la Cour d'appel, nous trouvons, dans un rentrant qui forme la rue de la Sainte-Chapelle et donne par devant sur la cour de la Sainte-Chapelle elle-même, un long et haut bâtiment qui s'étend jusqu'au boulevard du Palais et se continue en retour d'équerre jusqu'au pavillon méridional de la grille d'honneur. Cette équerre gigantesque contient les organes les plus importants et les plus occupés de la vie judiciaire. Remontons le grand escalier de la cour d'honneur, et continuons notre promenade.

A gauche de la galerie Mercière et de la porte de communication avec le porche supérieur de la Sainte-Chapelle, on trouve une galerie étroite qui occupe l'intérieur des arcades qu'on aperçoit du dehors à gauche, en entrant dans la cour du Mai. Des chambres cloisonnées, prenant jour sur celle-ci, empiètent sur le passage et abritent des services accessoires, enregistrement, timbre, etc. On franchit, sur une arcade de pierre de taille à jour, l'arcade qui donne entrée dans la cour de la Sainte-Chapelle, et l'on aborde le premier étage du bâtiment neuf qui règne le long du boulevard du Palais jusqu'à la rue de la Sainte-Chapelle. Ce premier étage, double en profondeur, est le domaine du Parquet. Le procureur de la république, ses substituts, ses secrétaires, ses greffiers, accomplissent leur laborieuse besogne, à la fois judiciaire et administrative.

Les deux étages supérieurs, divisés de la même manière, c'est-à-dire une longue suite de pièces sur le boulevard, une longue galerie sur la cour, sont affectés aux cabinets des juges d'instruction. Chaque magistrat instructeur, assisté d'un greffier, dispose de deux cabinets communiquant l'un avec l'autre. Les témoins convoqués par mandat attendent dans la galerie. Les inculpés détenus sont amenés à l'instruction par des escaliers intérieurs.

La communication de cette aile de bâtiment avec le retour d'équerre qui s'étend entre la rue et la cour de la Sainte-Chapelle jusqu'à la rencontre des nouveaux bâtiments de la Cour d'appel est complète et permanente. L'angle de jonction renferme divers services importants, entre autres le cabinet du procureur général et ses dépendances, le Casier judiciaire, la recette des amendes, les bureaux de l'Assistance judiciaire et le greffe des dépôts.

Le bureau du Casier judiciaire relève sur des fiches individuelles, par ordre alphabétique, toutes les condamnations prononcées par un tribunal quelconque contre un individu quelconque né dans l'un des arrondissements de Paris ou du département de la Seine. Cette mesure utile, née d'une pensée de Napoléon Ier, fut réalisée en 1850 par M. Eugène Rouher, alors ministre de la justice, d'après un plan étudié avec soin par le conseiller Bonneville de Marsangy. Elle consiste tout simplement dans l'envoi obligatoire de tout extrait de jugement au maire de la commune natale du condamné, lequel est relevé et transcrit sur sa fiche individuelle. Pour conserver à cette organisation son caractère social, purement défensif et consultatif, l'extrait du Casier judiciaire n'est jamais délivré que sur la réquisition d'un magistrat ou de l'individu lui-même et dans son propre intérêt.

L'intérieur des bureaux de l'Assistance judiciaire n'offre à la vue rien de particulier ; des tables, des chaises, des cartons, et un grand nombre de clercs compulsant des dossiers. C'est cependant une institution de charité sociale, dont la population pauvre ressent les bienfaits chaque jour plus étendus. L'Assistance judiciaire, qui date seulement de la loi de 1850-1851, assure aux indigents la facilité de plaider gratuitement, soit en réclamant leurs droits en tout genre, soit en se défendant contre des exigences mal fondées. Lorsqu'elle est accordée après examen, l'État ne perçoit aucuns frais de justice, ni timbre, ni

Voitures cellulaires
enregistrement, ni droit de greffe ; les avocats, les avoués, les agréés et les huissiers prêtent leur ministère gratuitement, et c'est en définitive sur eux que retombe la plus lourde charge.

L'extrémité de la galerie, au-dessus du quai des Orfèvres, est consacrée à l'une des branches les plus importantes du service judiciaire. La législation ordonne depuis 1829 que les valeurs ou objets quelconques consignes, trouvés ou saisis, jadis déposés à l'hôtel des Monnaies, soient déposés au greffe du tribunal de la circonscription. Le greffe du Tribunal civil de la Seine a l'importance d'une grande administration. Il siège à l'étage supérieur du palais, à l'angle du boulevard et du quai de l'Horloge et au-dessus de la salle des Pas Perdus ; mais, borné par l'espace, il a été forcé de transporter de l'autre côté du Palais, c'est-à-dire au quai des Orfèvres, ses dépôts d'argent et d'effets mobiliers. Les dépôts d'argent, scellés, étiquetés et divisés par séries, selon la couleur de l'étiquette, proviennent soit de consignations volontaires ou obligatoires par les plaideurs, de sommes saisies sur des malfaiteurs ou des contrevenants, etc., etc. Le tout est placé dans des armoires dont les clefs restent entre les mains du greffier en chef.

Mais un spectacle infiniment plus curieux est le dépôt des objets mobiliers, musée d'une espèce singulière, qui offre à l'œil le double aspect d'un bazar et d'un bureau du Mont-de-Piété. On y trouve les objets les plus disparates chaussures, vêtements, coiffures, hardes, saisis au domicile des malfaiteurs, puis aussi des objets fabriqués en nombre, saisis pour cause de contrefaçon ou de fraude, notamment quantité de balances fausses. Les armes y foisonnent : couteaux, poignards et revolvers.

Il y a là surtout une étonnante collection de pinces dites monseigneurs, très variées de poids et de taille, depuis l'énorme morceau de fer à peine dégrossi qui déplacerait des pierres de taille, jusqu'à la pince mignonne à tête ciselée et damasquinée, à l'usage des dandies du crime, très suffisante entre les mains d'un voleur aussi adroit qu'élégant pour forcer le plus ingénieux coffre-fort. La place commence à manquer pour le classement de ces reliques du crime ou de la fraude. Du reste, elles ne restent là que pendant un délai maximum de cinq ans, au bout duquel le greffe en fait la remise à l'administration des domaines.

Au-dessous de cet indescriptible capharnaüm, rangé et tenu avec méthode et une propreté méticuleuse qui le rendent plus sinistre encore, s'étagent les quatre chambres du Tribunal civil auxquelles est dévolue la juridiction correctionnelle. Lorsqu'on vient du dehors, on pénètre dans ce bâtiment par une grande porte centrale percée dans la cour de la Sainte-Chapelle, à droite de l'église et du vieux bâtiment de la Cour d'appel. Ces quatre chambres sont la huitième et la neuvième, logées au premier étage, la dixième et la onzième au second. Elles ont pour mission de constater et de punir les délits, en leur appliquant une échelle de peines dont le maximum est un emprisonnement de cinq ans. D'après la législation édictée dans les dernières années de l'Empire, la liberté provisoire des prévenus est de droit en matière correctionnelle, à moins de nécessité grave ; quant aux affaires dites de flagrant délit, elles sont jugées dans les trois jours.

C'est un progrès, sans doute ; mais il manque encore à la ville de Paris une institution pareille à celle dont la ville de Londres est si justement fière : les juges de quartier, quelque chose comme nos juges de paix jugeant au criminel et séance tenante. Le principal mérite de cette institution, c'est de prévenir la détention arbitraire et les méprises, qui sont malheureusement trop fréquentes chez nous. Le cas s'est présenté, se présentera encore, où un homme inoffensif, arrêté par erreur, en vertu d'un mandat régulier, mais s'appliquant à un homonyme, soit directement incarcéré à Mazas ; ce n'est alors qu'au bout de huit jours qu'il parvient à se faire mettre en liberté. A Londres, il se serait fait conduire chez le juge de son quartier, qui aurait procédé sans désemparer à la vérification de son identité. C'eût été l'affaire de deux heures tout au plus, grâce au personnel des sergents et d'appariteurs dont le juge anglais dispose jour et nuit.

 


PAGES 1/4 | 2/4 | 3/4 4/4

:: HAUT DE PAGE    :: ACCUEIL

magazine d'histoire, chroniques anciennes, le Paris d'antan, périodiques du passé
de la rubrique
Monuments
CLIQUEZ ICI