Monuments, édifices de Paris
Cette rubrique vous narre l'origine et l'histoire des monuments et édifices de Paris : comment ils ont évolué, comment ils ont acquis la notoriété qu'on leur connaît aujourd'hui. Pour mieux connaître le passé des monuments et édifices dont un grand nombre existe encore.
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L'Hôtel Pimodan ou Hôtel Lauzun
(D'après Chroniques et légendes des rues de Paris. Édouard Fournier, 1864)

Le nom de Pimodan, auquel, il y a deux ans, la belle mort du marquis Georges vint donner un nouveau lustre, est depuis longtemps célèbre dans Paris.

Il brilla pendant plus d'un siècle, écrit en lettres d'or sur marbre noir, au-dessus de la porte de l'un des plus fameux et des plus charmants hôtels de l'Ile Saint-Louis. Les gentilshommes d'une antique maison de Lorraine, dont l'inscription annonçait le long séjour dans cette belle demeure du quai d'Anjou, étaient bien les ancêtres du Pimodan qui mourut si digne d'eux.

Ils s'étaient distingués de bonne heure au service de nos rois, soit dans le Parlement, soit dans les armées. Un d'eux, qui avait combattu près de Henri IV, reçut de lui une lettre, que l'on croirait écrite au brave des braves, à Crillon. Ce n'est que bien Plus tard, sous Louis XV, qu'ils vinrent à l'Ile Saint-Louis. Des

Hôtel Pimodan ou Hôtel Lauzun
propriétaires de tout rang, comme on va voir, et de toutes fortunes les avaient devancés dans l'hôtel qui devait longtemps garder leur nom.

Le premier celui qui l'avait fait bâtir, était un homme de finance, fils d'un cabaretier. Il s'appelait Charles Gruyn, ou Groïn ; son père avait été, comme maître du fameux « cabarret d'honneur » de la Palme de Pin, au bout du pont Notre-Dame, le prédécesseur de cet illustre Cresnet, qu'immortalisa un vers de Boileau. Philippe Gruyn, le tavernier, qui, malgré le mauvais renom du métier, se faisait appeler « honorable homme, » et gros comme le bras, avait fait de beaux profits sur les forts écots dépensés chez lui il voulut que son fils en pût faire de plus considérables encore. Il le lança dans les grandes affaires, où, lui-même il avait déjà deux frères qui grappillaient à merveille. Afin de ne pas sortir tout à fait du métier paternel, le fils du cabaretier se jeta, comme ses oncles, dans les subsistances, et s'y engraissa démesurément.

Il était, en 1641, commissaire général des vivres pour la cavalerie légère, et, afin qu'elle restât fidèle à son nom, il s'engraissait de ce qu'il ne faisait pas manger à cette cavalerie. Un pamphlet, qui parut du temps de la première Fronde sous ce titre : le Catalogue des partisans, ensemble leur généalogie, extraction, vie, mœurs et fortune, nous renseigne ainsi sur les façons administratives des oncles et du neveu, et sur leurs promptitudes de fortune : « Les Gruyn, y est-il dit, frères et fils du maistre du cabaret de la Pomme de Pin, à force de pillages, qu'ils ont faits dans la subsistance, lors de l'établissement d'icelle, ont acquis de grands biens et possèdent des charges de finances très considérables. »

Parmi ces grands biens, le neveu possédait pour sa part la terre des Bordes, dont il prit le nom, celle de Noizières, près de Lagny, où il faillit se rompre le cou en y faisant travailler au mois d'octobre 1660, et enfin le bel hôtel de l'Ile Notre-Dame, ou Saint-Louis, dont nous vous faisons l'histoire. V., sous la date du 5 oct 1660, une lettre de Gui-Patin sur cette chute de M. des Bordes-Groïn, auquel il ne marchande pas la vérité sur son origine. Il l'appelle « ce M. des Bordes-Groïn, jadis garçon cabaretier, fils du maître de la Pomme de Pin, aujourd'hui grand partisan. »

C'est sur un terrain encore vague, acheté en 1641, qu'on le lui avait construit,

Hôtel Lauzun, 17 quai d'Anjou à Paris
mais plus tard, dans le temps où il était de mode pour les gens de finance ou de Parlement, d'avoir sa maison en l'Ile. M. le président Lambert de Thorigny et M. de Bretonvilliers y étaient venus vers le même temps, et l'étendue des hôtels qu'ils se faisaient construire à la pointe de l'Ile, le luxe qu'ils y déployaient dans les ornements et les peintures des galeries, dont Lebrun et Lesueur avaient été chargés, étaient pour Gruyn, qu'on n'appelait plus que M. des Bordes, une singulière émulation de magnificence. La maison du fils du cabaretier égala donc, ou peu s'en faut, celles de ces opulents dignitaires du Parlement. Lorsque Richelet rédigea dans son Dictionnaire, le mot maison, et chercha quelques belles demeures à citer, c'est à celle-ci qu'il pensa : « M. Des Bordes, écrivit-il, a fait bâtir une fort jolie maison dans l'Ile. »

Elle fut terminée en 1658. Des Bordes ne s'était pas pressé, comme on voit, puisqu'il possédait le terrain depuis dix-sept ans. La jolie Normande Geneviève de Mony, veuve de M. de Lanquetot, que des Bordes avait épousée pendant l'été de cette année là, le força bien d'en finir une bonne fois avec cette bâtisse sans fin. Elle ne s'était mariée avec le traitant que par amour « pour la grande despense » et parce qu'elle le sentait fort riche : elle n'était donc pas disposée à n'avoir que l'ombre de cette fortune et surtout à vivre en quelque triste logis, tandis qu'elle pourrait se prélasser en un si magnifique.

Elle fit stipuler au contrat, de façon expresse, qu'elle aurait pour demeure « la maison que le futur époux faisoit construire en l'isle Nostre-Dame, sur le quay regardant le quay Saint-Paul, » et non autre. Des Bordes alors s'exécuta, et, peu de temps après, l'on voyait dans l'hôtel, enfin terminé, s'étaler partout, aux plafonds, sur les panneaux, les plaques de cheminée, etc., les armes de la nouvelle épouse, puis le G des Gruyn, enlacé avec le M des Mony.

Le moment vint où il fallut quitter violemment tout cela. A cette époque, il arrivait toujours une heure où le pouvoir cherchait à voir clair dans l'eau trouble des fortunes financières. Il s'étonnait d'abord de ces rapides improvisations d'opulence, puis de l'étonnement il passait au soupçon, du soupçon à l'enquête, et de l'enquête à l'exécution. Gruyn avait eu Fouquet pour protecteur. Après avoir suivi sa fortune, il partagea sa ruine. La chambre de justice de 1661, qui jeta un jour si redoutable dans les dilapidations du surintendant, éclaira des mêmes lueurs la fortune ténébreuse de son protégé. Gruyn, convaincu de fraude et dépouillé, se retrouva, ou peu s'en faut, Gros-Jean, comme avant son entrée dans, les affaires, moins l'honneur pourtant, qu'il aurait pu garder en restant pauvre, et moins la liberté aussi.

On avait, en effet, commencé par le mettre en prison. Il y mourut. On ne le plaignit guère. Lorsqu'il avait failli se rompre la tête à Noizières, Gui-Patin l'avait gratifié d'une oraison funèbre anticipée qui n'était pas tout à fait un éloge, et dont les expressions sans pitié purent bien être reprises quand il mourut tout de bon. « Ne seroit-ce pas, avait-il dit, ne seroit-ce pas grand dommage s'il mouroit ! Mais en cas que cela arrivât et que le diable l'emportât, faudroit-il crier au larron ! » Quelques jours après, des Bordes allant mieux, il avait encore écrit : « On dit

Hôtel Pimodan ou Hôtel Lauzun
qu'il ne mourra pas. N'est-ce pas que Dieu l'attend à pénitence ? Mais seroit-elle bonne sans restitution ? Nenni-da ! Si Dieu attend que ces gens-là rendent tout ce qu'ils ont dérobé, il a beau attendre. »

En effet, quoique pressé par la justice, des Bordes ne fit qu'une restitution assez faible auprès de tout ce qu'il aurait dû rendre. Sa femme qui, par une précaution assez en usage de tout temps dans les ménages financiers, s'était mariée séparée de biens, garda la baronnie de Préaux en Normandie, acquise sous son nom, moyennant 800, 000 livres, l'année qui avait suivi celle de son mariage. L'hôtel de l'Ile fut aussi sauvé. Le fils de des Bordes ne le vendit, comme nous verrons, que vingt ans après.

Fouquet, dans la prison de Pignerol, avait pour compagnon de captivité l'homme qui devait justement succéder à son protégé Grruyn comme propriétaire et habitant de cette belle demeure du quai d'Anjou. Cet homme est Lauzun, dont vous savez l'histoire, que son mariage clandestin avec la grande Mademoiselle fit disgracier et emprisonner, et qui ne dut de redevenir libre qu'à l'énorme rançon payée par sa royale épouse, lorsqu'elle abandonna au duc du Maine la plus belle part de son apanage : le comté d'Eu, le duché d'Aumale et la princi-pauté de Dombes. Le prix était assez beau pour qu'on rendît à celui dont c'était la rançon sa liberté tout entière. Louis XIV pourtant ne lui fit qu'à moitié grâce. Lauzun ne sortit de prison et n'eut la permission de re-venir à Paris « qu'à la condition de n'approcher pas plus près de deux lieues de l'endroit où serait le roi. » Il s'en consola en jouant gros jeu à Paris et en faisant de grandes dépenses dans l'hôtel de l'Ile Saint-Louis.

 


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