Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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MONTMARTRE
(D'après Les environs de Paris illustrés, par Adolphe Joanne paru en 1856)


Vue de Montmartre. Carrière et tour du Télégraphe

Vers la même époque, les pèlerinages devinrent plus rares. Montmartre était alors un village de vignerons, de laboureurs et de meuniers. Les moulins surtout jouissaient d'une grande célébrité ; leurs propriétaires tenaient en même temps des cabarets, et déjà, comme aujourd'hui, ils voyaient chaque dimanche le peuple gravir le sommet du coteau pour venir s'asseoir sous leurs tonnelles et boire le vin du cru.

Les ânes de Montmartre étaient aussi en grande renommée, ce qui donna lieu à de méchants quolibets tombés en désuétude. Les ânes ont à peu près disparu mais les ânesses existent encore ; seulement elles ne portent plus de sacs de blé ni de farine ; leur lait sert à rendre la santé ou l'espérance d'une guérison prochaine aux poitrines faibles et aux estomacs débiles. Quant aux moulins, au lieu de moudre les dons de Cérès, comme on aurait dit il y a quelque cinquante ans, se contentent aujourd'hui de broyer tristement du noir animal, ce qui est singulièrement moins poétique.

Puisque nous avons parlé des ânes de Montmartre, nous raconterons ici une anecdote mentionnés par Dulaure, et qui fit grand bruit en 1779. La police avait ordonné des fouillés sur le territoire de Montmartre, où l'on avait déjà trouvé des vestiges antiques ; ces fouilles amenèrent la découverte, entre Belleville et la butte, d'une pierre couverte de caractères gravés, qui fut transportée immédiatement à l'Académie des inscriptions et belles-lettres. L'Académie s'em-pressa de nommer une commission : mais cette commission ne parvint ni à déchiffrer le sens de l'inscription, ni à deviner dans quelle langue elle était écrite. Impossible de former des mots avec ces caractères.

Les académiciens ne savaient comment résoudre ce problème ; les plus savants y perdaient leur latin, leur grec, leur sanscrit ou leur hébreu. L'auteur du Monde primitif lui-même ; Court de Gébelin, s'était déclaré incompétent. Tout à coup le bruit se répand que le bedeau de Montmartre peut tirer l'Académie d'embarras. On le fait venir. Dès qu'on lui a apporté la pierre, il rassemble du premier coup d'œil les lettres composant l'inscription, et se met à lire d'une voix assurée : Ici le chemin des ânes. Les académiciens, assure-t-on rirent beaucoup.

Le Montmartre actuel ne ressemble plus au Montmartre du siècle passé. C'est une ville, et même une grande ville ; sa population actuelle dépasse, avons-nous dit 40 000 âmes : elle s'accroît sans cesse. Les démolitions de Paris l'augmentent de 3000 à 4000 âmes par an. A Cette métamorphose Montmartre a perdu son aspect pittoresque ; mais elle s'est enrichi et elle a gagné la sécurité qui lui manquait. Il y a Une vingtaine d' années, il eût été imprudent de s'attarder dans ses rues alors désertes Aujourd'hui on peut y circuler sans crainte aucune à toute heure de la nuit.

Elle devait sa mauvaise renommée aux carriers qui l'habitaient et à ses carrières ouvertes qui offraient un refuge aux voleurs et aux vagabonds de la grande ville. Mais depuis que l'exploitation des carrières a cessé, et que leur entrée est interdite même aux curieux, la population s'est en parti renouvelée. Les cabaretiers, les propriétaires de guinguettes et de tables d'hôte en forment la majorité ; la minorité se composant généralement d'employés, d'ouvriers, de petits rentiers qui attirent le prix des loyers moins chers qu'à Paris, et le bon marché relatif de certains objets, de consommation qui n'ont point à payer de droits d'octroi. Le sommet de la montagne est encore occupé par un certain nombre de nourrisseurs et de cultivateurs.

Ses rues étroites, tortueuses, et ses maisons d'un autre siècle dorment à ce quartier l'aspect d'une vieille ville de province perdue dans l'intérieur de la France. Est telle de ses rues, par exemple celle des Rosiers, où l'on se croirait à cent lieues de la capitale ; telle autre, la rue de l'Abreuvoir, aboutit à une mare ombragée de grand arbres qui rappelle, par son caractère original, certains motifs des paysages méridionaux. D'assez belles mai-sons de campagne, entourées de jardins, voient s'ouvrir leur entrée principale dans des ruelles solitaires, tandis que leurs parterres, leurs massifs de verdure s'allongent sur le versant septentrional de la butte. Un des plus beaux jardins de Montmartre est celui de l'ancienne maison du docteur Blanche.

Les moulins, comme bien on le pense, sont situés au sommet de la montagne. Nous avons dit à quel rôle ils s'étaient résignés. Il n'en reste plus que trois aujourd'hui, dont l'un, le moulin de la Galette, n'a d'autre destination que de servir d'enseigne à un cabaret qui porte le même nom, et qui a une antique origine. De la plate-forme sur laquelle est construit un de ses voisins, et où le public peut entrer moyennant une rétribution de 10 centimes, on jouit d'une des plus belles vues panoramiques des environs de Paris. On découvre : au sud, tout Paris et ses immenses faubourgs ; au nord, l'allée de la Seine, la plaine Saint-Denis et l'entrée de la vallée de Montmorency.

Tout prés de là se trouve un obélisque sur lequel était gravée l'inscription suivante, que le temps a effacée en partie :

L'an 1736 cet obélisque a été élevé par ordre du roi,
pour servir d'alignement
à la méridienne de Paris du côté du nord.
Son axe
est à 2931 toises 2 pieds de la face
méridionale de l'Observatoire.

Si les pentes du versant septen-trional sont encore couvertes en partie de jardins ombreux, le versant méridional s'est garni depuis vingt ans d'un nombre considérable de maisons ; il est, au moins jusqu'à mi-côte, sillonné de rues qui ressemblent beaucoup aux rues de certains quartiers de la capitale, sauf la rue du Vieux-Chemin, en partie bordée d'arbres, ou les voies qui escaladent en droite ligne le sommet de la montagne et qu'accidentent çà et là des escaliers gigan-tesques. Pourtant de ce côté encore, et dans la partie comprise entre le sommet de la butte, la place du Nouveau-Marché et le hameau de Clignancourt, on trouve des coteaux abruptes et dénudés, d'un aspect singulièrement pittoresque ; leurs parois colorées ont plus d'une fois fourni à certains peintres de l'école moderne des sujets de paysages espagnols et italiens. Mais cette partie de la montagne, dont des travaux récents ont déjà altéré la physionomie caractéristique, est menacée d'une des-truction complète.

La municipalité a en effet conçu le projet d'établir à mi-côte, autour de Montmartre, de larges boulevards à rampes douces et plantés d'arbres. La partie nord-ouest de la montagne, où se trouve l'entrée des carrières, est seule restée jusqu'à ce jour ce qu'elle était au siècle dernier. On a parlé depuis quelque temps d'un projet plus vaste encore ; il s'agirait de ra-ser la butte elle-même, pour donner de l'espace aux constructions, qui ne peuvent pas s'étendre commodé-ment sur ses pentes trop rapides.

Les jardins, avons-nous dit, ont à peu près complètement disparu du versant méridional de Montmartre. Ceux qui subsistent encore dépendent des bals publics. Parmi ces bals, nous devons mettre au premier rang celui du Château-Rouge. Le Château-Rouge, situé dans le hameau de Clignancourt, est une charmante maison, contemporaine du règne d'Henri IV, et que ce monarque avait fait construire pour Gabrielle d'Estrées. Son nom lui vient des briques avec lesquelles il est en partie bâti. A l'extérieur il a conservé à peu près son antique physionomie et le caractère pittoresque qu'on retrouve dans les maisons de la place Royale. Depuis quelques années, le vaste jardin qui l'encadrait de ses massifs a été singulièrement rogné par les enva-hissements successifs des propriétés riveraines.

Le bal a vu également diminuer beaucoup la vogue dont il avait joui lors de son ouverture. Néanmoins il doit être encore mis au premier rang des autres bals de Montmartre, parmi lesquels nous mentionnerons ceux de l'Elysée-Montmartre, situé sur le boulevard, entre les barrières Rochechouart et des Martyrs ; de l'Ermitage, tout près de la barrière Pigalle ; et de la Reine-Blanche, à côté de la barrière Blanche. Ces établissements, consacrés au culte d'une Terpsichore. suspecte, ne sont pas fréquentés par une société choisie, et nous nous bornons à les indiquer seule nient aux étrangers curieux d'étudier les mœurs d'une certaine partie de la population parisienne.

Montmartre renferme aussi un grand nombre de tables d'hôte, presque toutes situées dans la partie méridionale de la ville, et dont le prix modique fait remonter chaque soir de l'année, du centre de Paris vers les boulevards extérieurs, une armée de petits employés, de dames aux allures équivoques et de rentiers nécessiteux. Pour 1 franc 50 centimes il n'y a pas plus de deux ans, ce prix ne dépassait pas la moyenne de 1 franc 30 centimes cette population de dîneurs se repaît d'une nourriture plus abondante que succulente, mais généralement saine.

Le restaurant des Princes, chaussée des Martyrs, le Véfour de la banlieue, a le privilège des repas de noce et des corporations. Le Petit-Ramponneau n'est qu'une gargote, pour parler la langue popu-laire ; mais c'est la plus immense gargote des environs de Paris. On mange et on y boit partout, dans ses vastes salles, dans des cabinets particuliers et dans la cour, et l'on y vide plus de brocs que de bouteilles. Nul luxe, bien entendu ; les cuillers et les fourchettes sont en fer, les couteaux ne valent pas piaf de cinq centimes ; le prix de la nourriture est à l'avenant. Pourtant elle est plus saine, à ce qu'il paraît, que celle qui se débite à des prix élevés dans certains établissements parisiens vernis, dorés et fréquentés surtout par des employés à qui leur toilette ne permet pas d'aller au cabaret. Le Petit-Rambonneau contient dans son enceinte sa boucherie, sa fruiterie et sa char-cuterie.

Le chiffre de ses affaires est énorme. Son avant-dernier propriétaire y a fait une magnifique fortune, et son possesseur actuel semble réservé à la même destinée. Montmartre possède une mairie plus que modeste, un théâtre qui passait pour le premier de la banlieue avant la construction de celui de Batignolles, et deux établissements de bienfaisance : l'asile Piemontesi, fondé pour les vieillards indigents de la commune, et l'asile de la Providence, chaussée des Martyrs. Ce dernier établissement sert de retraite à 61 vieillards des deux sexes de la ville de Paris, qui y saut logés, nourris, blanchis , et soignés en cas de maladie. Il y a 6 places gratuites : 2 sont à la nomination des fondateurs et de leurs familles, 2 à la nomination du ministère de l'intérieur, et 2 à la nomination du conseil municipal de Paris.

Les 55 autres places sont à la nomination du ministre de l'intérieur, de la Société de la Providence et du conseil d'administration de l'établissement. Pour le prix de ces 55 places, il doit être payé une pension annuelle de 600 francs. L'asile est géré gratuitement par un administrateur en chef, que nomme le ministre, et sous la surveillance d'un conseil qui doit être composé de cinq membres. Six sœurs de la congrégation des Dames hospitalières du diocèse de NeVers desservent l'asile de la Providence.

 


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