Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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Quartier Chaillot : Le Palais de Roi de Rome
(D'après Chroniques et légendes des rues de Paris. Édouard Fournier, 1864)

Napoléon n'aura pas d'enfant de son premier mariage avec Joséphine Tascher de la Pagerie, veuve du Marquis Alexandre de Beauharnais. Sa seconde femme, l'Archiduchesse Marie Louise d'Autriche (fille de l'Empereur d'Autriche François Ier) lui donnera un fils en 1811. Ce dernier portera le nom de Napoléon François Charles Joseph, dit Napoléon II. Il obtiendra le titre honorifique de Roi de Rome. Après l'abdication de son père.

Il n'est pas de coin de Paris qui ne soit, à l'heure qu'il est, entamé par la sape municipale. Elle s'attaque, même aux montagnes. Je ne serais pas surpris qu'un de ces jours Montmartre, ce Mont-Blanc, ce Chimboraco de la banlieue parisienne, ne fût perforé d'outre en outre par un tunnel, pour abréger le chemin aux bourgeois pressés d'arriver à Clignancourt. En attendant, ce sont d'autres sommets qui sont vaillamment attaqués. La montée de Chaillot est entamée au vif en deux endroits : ici, pour donner passage au boulevard d'Iéna ; là, pour faire place au boulevard de l'Empereur, qui s'en ira en droite ligne du Cours-la-


Vue des Marests de Grenelle et du Cours la Reine
durant l'Inondation de dessus le chemin de Granelle
Reine à l'avenue de Saint-Cloud. Les deux grandes voies effleureront, la rampe si raide du Trocadero, et ce sera, l'on peut le dire, une terrible difficulté tournée.

Chemin faisant, quoique ces quartiers semblent assez jeunes et ne soient pas habités par une population. bien nombreuse, plus d'un souvenir sera effacé, plus d'une histoire sinistre, comique ou galante, perdra son cadre. Sans aller plus loin que le quai dont le parrain est le brave général de Billy, mort à cette bataille d'Iéna qui devait elle-même baptiser de son nom et de sa gloire le pont du Champ de Mars (Décret de Varsovie du 13 janvier 1807) ; sans prendre même la peine de grimper la rampe du Trocadero, je trouve à faire une ample moisson d'anecdotes : disons-les vite, car peut-être, à cause des impitoyables démolitions qui balayent tout, on ne pourra bientôt plus les cueillir à leur vraie place.

Manufacture nationale des Gobelins et de la Savonnerie. Les frères Périer et leur pompe à feu :
J
e passerai rapidement devant la Manutention des vivres militaires, qui englobe dans son vaste terrain l'espace occupé, sous Henri IV par une fabrique de savon (V. dans les Archives curieuses de l'histoire de France, 1re série, t. XV, p. 265, le Mémoire concernant les pauvres qu'on appelle enfermez, 1612), et plus tard par cette fameuse manufacture de tapis, appelée la Savonnerie, à cause de la première destination des bâtiments. Je ne donnerai qu'un coup d'œil à la célèbre pompe à feu, ou, si je m'y arrête, ce sera seulement pour vous rappeler, le distique dont, en 1778, on salua la création de cette doyenne des machines à vapeur, établie par les frères Périer, et remplacée, depuis 1857, par une autre bien supérieure, comme, force et comme combinaison mécanique. D'un seul coup de piston elle élève 1, 200 litres d'eau !

Fournir une eau potable fut l'idée des frères Perier qui inaugurent à Chaillot la première pompe à feu, mue par deux machines à vapeur. L'eau pompée fut déclarée très salubre par la Société royale de médecine. Elle était vendue aux abonnés de la Compagnie des Eaux de Paris. Ici, disait le faiseur d'épigrammes


Premier projet de pompe à feu de Chaillot
de 1778, qui, tout en riant, ne pouvait s'empêcher d'admirer l'invention, si grosse de merveilleuses promesses.

Ici, vois, par un sort nouveau,
Le feu devenu porteur d'eau.

École Militaire : L'histoire d'une maison voisine est un peu plus ancienne, sans aller pourtant au delà du même siècle : elle remonte à madame de Pompadour, qui fut ici dame et maîtresse. C'était dans le temps le moins frivole de son
règne, où de concert avec le marquis de Marigny, son frère, et l'architecte Gabriel, elle faisait activement travailler à l'École militaire, dont la création lui est réellement due, et pour laquelle, il faut le dire à sa gloire, elle dépensa une forte somme de ses propres deniers.

Elle écrivait, le 3 janvier 1751, à la comtesse de Lutzelbourg : « Cette École royale sera bâtie au près des Invalides. Cet établissement est d'autant plus beau que Sa Majesté y travaille depuis un an, et que ses ministres n'y ont nulle part, et ne l'ont su que lorsqu'il a eu arrangé tout à sa fantaisie. » La fantaisie, qui lui servait ici de ministre, c'était madame de Pompadour. Quatre ans après, l'ouvrage était en bonne voie mais marchait lentement ; c'est alors que la marquise se décida à employer sa fortune. « J'ai dit, écrit-elle, le 15 août 1755, à Paris. Duverney, j'ai dit à Gabriel aujourd'hui de s'arran-ger pour remettre à Grenelle les ouvriers nécessaires pour finir la besogne. Mon revenu de cette année ne m'est pas encore rentré. Je l'emploierai en entier pour payer les quinzaines des journaliers. »

Afin d'être plus près de cette fondation chérie et de n'avoir qu'a traverser la Seine en barque pour aller surveiller les travaux, elle, venait loger à certains jours dans le charmant pavillon qu'elle possédait sur ce quai, nommé alors quai de Chaillot ou de la Conférence. Un joli parc en dépendait ; il a disparu ainsi que le pavillon.

Une autre petite maison, où les souvenirs sérieux ne se mêlent pas, comme dans celle-ci, aux souvenirs de galanterie, est tout auprès. C'est celle que vous pouvez apercevoir au bout de la longue avenue où les bustes de Néron et d'Agrippine surmontent les pilastres de la grille d'entrée : Ce petit séjour n'a rien perdu de sa physionomie ; tout y révèle l'époque coquette où il fut construit, et il semble qu'on y va entendre encore, au détour d'une allée, derrière un arbre, le spirituel éclat de rire de Sophie Arnould, qui en fut longtemps la galante châtelaine. Un cèdre bien vieux, qu'elle vit bien jeune, existe encore ; vous en pouvez voir les rameaux toujours verts débordant au-dessus, de la muraille, et projetant sur le quai leur éternel ombrage. Le jardinier qui l'a planté, il y, a soixante-seize ans, vit toujours, selon M. Lefeuve (Les anciennes maisons de Paris, art. Quai de Billy).

Le chouan Georges Cadoudal :
Q
ue d'intrigues nouées et dénouées ici ! Que d'aventures galamment préparées ! Que de petits complots ! Mais pas un ne valait, Dieu merci ! celui qui fut tramé dans le voisinage, et dont le dénouement fut si terrible.

Je parle de la conspiration contre le Premier consul, hardiment couvée dans une maison proche de celle-ci, au n° 10 du quai de Billy. C'était, chose rare en ces sortes de combinaisons lâchement mystérieuses d'ordinaire c'était un complot vaillant. Georges Cadoudal, qui en était le chef, ne voulait agir qu'en plein jour et à force ouverte. « Georges, dit Desmarest qui connut bien l'affaire, car il fut chargé de la déjouer, ne marchait contre le premier consul qu'à la condition de le frapper de l'épée dans un choc militaire, et non sous la forme clandestine du meurtre. » (Témoignages historiques, ou Quinze ans de haute police, 1833, in-8°, p. 88). Toute autre entreprise, qui eût plus ou moins ressemblé à celle de la machine infernale, lui eût paru une lâcheté.

La maison du quai de Chaillot, pour lui donner le nom qu'il portait alors, avait, semblé tout à fait propre à la préparation. du coup de main, et comme point d'appui pour l'attaque. C'est de là qu'on se serait élancé, sabre aux dents, contre le premier consul, au moment où, entouré de son escorte, il passerait sur le quai, en se rendant à Saint-Cloud.

« Soixante-dix à quatre-vingts hommes d'élite, appelés, du Morbihan, dit quelque part M. Th. Muret, devaient déboucher tout à coup de la maison louée dans ce but, et livrer en plein soleil, le sabre à la main, ce nouveau combat en champ clos. Telle était l'entreprise que Georges avoua hautement devant ses Juges, et qui, les hommes de bonne foi de tous les partis en conviendront, ne ressemblait nullement au crime odieux de la machine infernale. La victoire obtenue, le plan était que le comte d'Artois et le duc de Berry, attendus à Paris, se montreraient à la population, et que le premier consul serait envoyé en Angleterre. Par une circonstance remarquable, la prison que lui destinait le gouvernement britannique, était, à ce qu'il paraît, cette même Ile Sainte-Hélène qui le reçut douze ans plus tard. Nous tenons, ajoute M. Muret, ce curieux détail du général Brèche, l'un des principaux compagnons de Georges, qui, au moment où la conspiration fut découverte, était parti pour la Bretagne, afin d'y choisir la petite phalange de combattants et de l'amener à Paris. »

On sait comment ce coup manqua sans avoir pu être tenté ; comment justice fut faite et à quel rang suprême monta bientôt celui dont le complot avait, de si près, menacé la tête.

Palais du Roi de Rome :
C
'est dans ce même quartier que Napoléon voulut élever l'un des monuments dont la construction lui tint le plus au cœur. Cet édifice, où la magnificence de


Quartier de Chaillot en 1833
l'Empereur eût tout mis en œuvre pour satisfaire la tendresse
du père, était le Palais du Roi de Rome. Les bâtiments devaient couvrir ces hauteurs qui, sous le règne suivant, reçurent, comme par ironie, le nom de Trocadero. Ce ne fut qu'un projet, un rêve, mais on y crut longtemps, tant l'on était accoutumé à voir exécuter tout ce que projetait, tout ce que rêvait ce génie. Il y eut, d'ailleurs, des travaux commen-cés, des terrains acquis, des fondements jetés.

Le meilleur témoignage que nous ayons sur cette gigantesque entreprise est celui des deux architectes Percier et Fontaine (V. leur article Napoléon architecte, dans la Revue de Paris, juillet 1833, p 33. 2. Ibid., p. 36) qui furent chargés de la conduire, au milieu de plans infinis dont le plus ou moins de splendeur se réglait, à chaque changement, sur la fortune, plus élevée ou plus abaissée de celui qui commandait.

D'abord, quand trois mois avant la naissance du roi de Rome, les travaux commencèrent sur ces hauteurs, de la base au faîte, il ne s'agit pas moins que de la construction, d'un palais capable d'écluser en magnificence et en étendue, les plus beaux et les plus vastes du monde. L'Empereur régla lui-même la disposition générale, « selon laquelle, disent MM. Fontaine et Percier, plusieurs travaux de maçonnerie et de terrassement ont été faits. » Ils donnent une description du monument, dont le détail serait trop long à reproduire ici, puis ils résument son aspect général en quelques lignes, qui permettront fort bien d'en juger : « Ceux, disent-ils, qui pourront se représenter un palais aussi étendu que celui de Versailles, occupant avec ses accessoires le rampant et le sommet de la montagne qui domine la plus belle partie de la capitale, avec les moyens d'accès les plus faciles n'hésiteront point à penser que cet édifice aurait été l'ouvrage le plus vaste et le plus extraordinaire de notre siècle. »

Survinrent les désastres de 1812, dont le contrecoup se fit sentir jusque dans les travaux de la montagne de Chaillot. Tout dut rentrer en terre avant presque d'en être sorti. Le malheur avait appris la modestie à Napoléon, où du moins l'avait désenchanté des palais trop magnifiques. Il ne voulait plus sur les hauteurs de Chaillot qu'un petit Sans-Souci, comme celui de Frédéric avant Rosb'ach. Endolori de ses chutes à Moscou et à Leipsick, il ne rêvait désormais qu'une retraité de convalescent (Napoléon architecte, p. 36).


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